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Benjamin Ferré : Deux tours du monde au compteur, en stop et à la voile

Révolutionnaire ! A 34 ans, le Breton a enjambé deux fois la planète. A pinces d’abord, de saut de puce en saut de puce. Le stop pour moteur et les rencontres humaines pour destination. Dix ans plus tard, il repart en version non-stop pour le Vendée Globe, tour du monde à la voile

en solitaire et sans escale. Sur la ligne d’arrivée, il est le premier bateau à dérive au terme d’un final épique avec Tanguy le Turquais. Paroles d’un aventurier tout terrain, qui brûle la vie « à toute allure ».

 

Par Thierry SUIRE

Photos : Lou-Kévin ROQUAIS


Rien de banal avec Benjamin Ferré. Tout prend une dimension exceptionnelle. Même la sieste ! Le jour prévu de l’interview, un petit somme de… 16 heures a fait capoter le rendez-vous. Il faut dire que le bonhomme a des circonstances atténuantes. Il a bouclé, quelques jours plus tôt, son premier « Vendée », soit 84 jours, 23 heures et 19 minutes en mer. Et pas une seconde de répit. Après cette bonne sieste revigorante, le skipper nous a confié ses joies, ses doutes, sa fierté de l’avoir fait. Il dévoile les secrets de sa passion pour l’aventure, lui qui a déjà au compteur deux tours du monde, un 4L Trophy, une traversée de l’Atlantique au sextant… On a fait cracher le morceau à « Benjamin envoie le pépin » (son nom sur les réseaux sociaux). Interview fruitée !

 

Quelle saveur a ce retour sur terre ?

C’est très particulier. Les 48 heures qui ont suivi le passage de la ligne d’arrivée ont été magiques. Hors normes. A l’échelle du Vendée Globe. Des sensations, des émotions jamais vécues. Le scénario avec Tanguy

Le Turquais, avec 16 minutes d’écart au terme de 3 mois en mer, le fait de remporter la compét’ des bateaux à dérive… Je n’ai pu relâcher que 3 minutes avant de passer la ligne. Ce qui fait que, quand je lâche à l’arrivée, c’est puissance 1000 !

 

Et la digestion après ces 48 heures magiques ?

Ce qui est un peu difficile, c’est ce sentiment que tu descends de scène. Ça y est, le public s’en va et tu te retrouves tout seul dans ta loge. Tu as eu un tel shoot d’émotions avant que la descente est un peu particulière.

Le départ, c’était la mise en bouche… Racontez-nous.

A jamais, il n’y aura qu’une seule première fois. On s’en souvient toujours. Ces premières émotions, on a envie de les vivre. Au départ, j’étais terriblement concentré. J’ai vu mes proches en pleurs, je m’étais protégé, beaucoup préparé mentalement à ça.

 

L’arrivée, le chenal aux Sables-d’Olonne, c’est la cerise sur le Vendée !

Oui, l’arrivée, c’est tout l’inverse. Tu peux tout lâcher. Le chenal, c’est extraordinaire ce qu’on reçoit de la part des gens. Au début du chenal, je m’amusais avec le public et au bout d’un moment, je me suis arrêté,

j’ai juste pris ce qu’il y avait à prendre. Et, c’est là où je me suis effondré en pleurs. Je ressentais un tel flot d’amour. C’est hyper déstabilisant. Tu te sens enveloppé d’une couverture d’amour qui est folle. On nous dit plus « merci » que « bravo ». On sent que quelque part, on est entré dans la vie des gens. Quand ton accomplissement personnel sert à autrui, c’est magique.

 

Ces larmes salées, à ce moment-là, ce sont celles du chemin parcouru ?

Ce qui remonte, c’est tous les efforts, tous les sacrifices, toutes les déconvenues, toutes les fois où tu as voulu abandonner. Abandonner pas seulement pendant le Vendée Globe. Avant, c’est 4 ans de projet tellement difficiles. Et d’un seul coup, en une fraction de seconde, il y a tout ça qui remonte. Et tu te dis, on l’a fait ! On l’a joliment fait. C’est l’accomplissement, c’est le sportif qui soulève la coupe.

 

Vous partiez en quête d’inattendu, vous avez été servi ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est la longueur de l’exercice. Je ne pensais pas qu’il fallait un tel degré de concentration pendant aussi longtemps. J’avais la sensation de toutes les heures jouer une balle de match. Ça dure 3 mois ! 3 mois à fond, c’est tellement épuisant. Après, ma plus belle

découverte du Vendée Globe, c’est Tanguy Le Turquais. Il y a quelque chose qui se passe avec les autres concurrents. On a envie de tout donner pour arriver devant eux et en même temps, c’est eux notre moteur. Tanguy, je ne le connaissais pas bien avant de partir et, sans se voir, on est devenus meilleurs amis en 3 mois.

C’est unique dans une vie.  Le Vendée, c’est la compétition qui s’invite à la table de l’aventure. C’était le Graal pour moi qui suis plutôt un aventurier à la base.

 

Le plus savoureux dans ce menu ?

Ce qui me vient là, c’est le cap Horn. Je connaissais les pleurs de joie, de tristesse, j’ai découvert les pleurs de gratitude. C’est ce sentiment qui prédominait. Je pensais à toutes les personnes qui m’ont aidé à arriver là. Ça m’émeut encore d’y repenser.

 

C’est là, au Cap Horn, que la soif du grand large vous gagne.

Il y a dix ans, je faisais un tour du monde en stop. Et je passais le cap Horn le même jour que François Gabart sur ce même bateau. Je n’avais jamais mis les pieds sur un bateau de course, je n’avais pas cet environnement maritime en moi. Rien ne me prédisposait à faire de la course au large. Mais, si tu es à l’écoute de tes aspirations, la vie t’amène là où tu dois être. C’est ce que j’ai ressenti au passage du cap Horn.

 

Ce tour du monde en stop, à 20 ans, vous a mis l’eau à la bouche. Depuis,

vous n’avez pas arrêté.

Tout ce que j’ai fait dans ma vie s’est écrit pendant ce premier tour du monde. La première fois que j’ai mis les pieds sur un bateau à voile, c’était pendant ce tour du monde, l’amour du voyage, je l’ai découvert là, vivre des expériences collectives aussi. Il a été salvateur parce qu’il a ancré tout ce qui a découlé ensuite. C’était une chance folle de vivre ça. Il était à terre, beaucoup plus orienté vers l’autre. J’ai passé un an à rencontrer des gens. Le Vendée Globe, c’est autre chose, c’est une quête d’exploit sportif. Si on se fait aussi mal, c’est pour la compétition. Le premier tour du monde a servi le second. Dans ma tête de jeune de 20 ans, quand je vois François Gabart passer le cap Horn, je ne sais pas que c’est réalisable, mais je me dis : ça doit être incroyable de passer cet endroit tout seul. Inconsciemment, tout ce que j’ai fait derrière, c’était pour me mener là.

 

Quelle prochaine recette vous nous concoctez ?

Je t’avoue que j’ai un peu la peur de la page blanche. Tout ce que j’ai fait avant, je savais ce qui m’attendait en rentrant. Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas ce que je fais demain, le week-end prochain… Je sais juste qu’il faut que je ramène mon bateau à Port-la-Forêt. C’est à la fois excitant et ça fait peur. Après, j’y ai beaucoup pensé pendant mon Vendée Globe, ça fait 15 ans que je travaille comme un acharné. Que je rate des mariages, des week-ends de copains, des moments de vie simples. Et ce qui m’a le plus manqué justement, ce sont des moments tout simples. Une terrasse de café, une table-ronde, un verre à ballon, des copains. Donc, là les prochains mois, c’est à ça que j’ai envie de les consacrer. Passer du temps de qualité avec les gens. J’ai un pote qui habite à la campagne, je vais aller

4 jours chez lui. Pour la première fois de ma vie, j’ai envie de ralentir, de digérer.


Quelques chiffres

Le tour du monde en stop, c’est :

  • 41 800 kilomètres parcourus sur 3 continents et 26 pays traversés

  • 209 conducteurs rencontrés dans 162 voitures, 25 camions, 1 camping-car et 1 side-car.

  • 80 heures de rushes vidéo, un an de montage pour un documentaire « Le monde à portée de pouce » d’1h45.

 

Le tour du monde à la voile, c’est :

  • 28 167 milles (45 300 km) parcourus

  • 13,81 nœuds de moyenne

  • 84 jours, 23 heures et 19 minutes en mer

  • 1er bateau à dérive sur la ligne d’arrivée avec 16 minutes sur le deuxième, Tanguy Le Turquais.

 

Les pépins de course de « Benjamin envoie le pépin »

« Jean Le Cam, qui m’a beaucoup accompagné dans ce projet, n’arrêtait pas de me dire que je ne passais pas assez de temps au chantier avant de partir. A l’arrivée, je lui ai dit : je me suis rattrapé parce que j’ai passé trois mois au chantier. J’ai eu tout un tas d’avaries, électroniques, mécaniques, de stratification… Ma plus grosse avarie, c’est le vérin hydraulique (c’est ce qui permet de bouger la quille) qui a cassé au milieu de l’Océan Indien. C’est Jean Le Cam à distance qui m’a aidé à réparer. Pendant 14 heures, j’ai cru que c’en était fini de mon Vendée. J’ai passé 14 heures la tête dans l’huile à tout essayer pour réparer. J’ai ramassé à l’écope toute l’huile qui avait volé dans le bateau, je l’ai filtrée avec un collant. Ce sont des moments lunaires. Et j’y arrive ! Tu repars. Pendant 24 h, le moindre bruit te met en panique. C’est un miracle, ça tient. Et la compétition reprend le dessus. Ce sont des ascenseurs émotionnels incroyables. »


Un insatiable goût de liberté

« La liberté, c’est un peu comme une drogue, quand tu goûtes à cette exaltation, tu n’as pas envie de l’abandonner. Alors d’où ça vient… Je pense que mes parents m’ont toujours appris à prendre les chemins qui ne menaient pas à Rome. On a voyagé, ils m’ont appris à regarder le monde d’une façon différente. Une partie vient de là. Après, ce sont aussi les rencontres. Moi, je n’ai rien décidé pour moi. C’est toujours quelqu’un qui m’a donné une idée. Le 4L Trophy, c’est un pote qui m’en parle. Le tour du monde en stop, c’est l’écrivain-voyageur Ludovic Hubler, qui vient faire une conférence dans l’école de commerce où je suis, pour raconter son tour du monde en stop. On n’a pas de quoi l’héberger dans l’association et il dort chez moi. On passe la nuit à refaire le monde. Il me dit : pour ton année de césure, pourquoi tu ne partirais pas en stop. Et ça commence là. Le Vendée Globe, c’est un dîner avec Jean Le Cam où il me dit : « Pourquoi tu ne fais pas le prochain Vendée Globe ? ».


Sa phrase

« En regardant la trace des skippers autour du monde, tu en sais plus

sur leur personnalité. Des meneurs, des suiveurs, des trajectoires

tordues. Est-ce qu’ils prennent des risques ou sont plutôt conservateurs… Ma trace me ressemble, je suis fier d’elle, avec ses erreurs, ses risques… »


SON LIVRE




À toute allure, Cap sur mon premier Vendée Globe

De Benjamin Ferré.

Paru aux éditions Marabout.

Préface de Jean Le Cam.

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