Biberonnés au vélo et aux bosses, les frangins courent la planète pour livrer tricks (figures) et jumps (sauts) sur leurs deux-roues. Compétitions, démonstrations, cérémonie d’ouverture des Jeux... Maxime et Timothé ont fait une vie de leur passion. Rencontre avec des artistes freestyle.
PAR THIERRY SUIRE
PHOTOS : Fonds personnel Bringer
Rendez-vous au centre du monde. Au centre de leur monde. Rendez-vous au Collerider Bike Park de La Colle-sur-Loup, entre Cagnes-sur-Mer et Vence. Leur gare de Perpignan, comme dirait Dali. Là où tout a commencé. Là où ils aiment se retrouver. Où, depuis tout petits, ils usent la gomme de leurs roues en travaillant, chaque jour, de nouvelles figures. Le Bike Park, leur repaire, le lieu de tous les possibles. Où le plaisir de rider s’est mué - sans vraiment qu’ils ne s’en rendent compte - en projet de vie. Tremplin vers une carrière aux quatre coins de la planète. Chacun dans sa discipline : Timothé, le petit d’1,95 m, s’est spécialisé dans le VTT Slopestyle, tandis que Maxime, le grand d’1,80 m, a rejoint pendant 4 ans le Pôle France de Montpellier en BMX Freestyle et rejoint la cellule olympique.
Assis sur une des rampes où ils aiment enchaîner les figures, les frères Bringer, âgés de 26 et 27 ans, parlent de leur passion commune, de leur complicité, de leur culture freestyle. Echanges à bâtons rompus.
Maxime : Notre père faisait du BMX et de la moto. Forcément, il nous a rapidement mis sur un vélo. Comme tous les gamins en fait...
Timothé : ...Sauf que nous, il nous a assez vite envoyés sur les pistes de race (course en ligne de BMX). Oui, c’est clairement une histoire de famille. Nos parents, Florent et Marina, ont dirigé le club ici pendant une dizaine d’années, notre oncle a fait champion de France dans sa jeunesse...
Maxime : Mais on n’a jamais été obligés d’en faire. Notre mère nous a même inscrits à un tas d’autres sports...
Timothé : ...On a fait du judo, du foot, Max a fait du tennis, mais on est toujours revenus au vélo. On est toujours revenus ici.
Premiers coups de pédales ?
Timothé : Dur de ressortir une image des débuts. Pour nous, c’est tellement naturel le vélo qu’on a l’impression que ça a toujours existé dans nos vies.
Maxime : Ce qui est sûr, c’est qu’on faisait des tours de pistes dès l’âge de 4 ans sur des petits vélos 10-12 pouces de Décathlon.
Ça représente quoi le vélo pour vous ?
Maxime : Ça représente avant tout le plaisir. Le plaisir de s’engager sur des lignes qu’on peut enchaîner pendant 4 ou 5 heures.
On en oublie de manger. Ce qui a fait la différence avec les autres sports, ce sont les sensations, l’adrénaline. BMX, moto ou VTT, ce sont des sensations que je ne retrouve pas ailleurs.
Timothé : Quand je suis chez moi et que je ne sais pas quoi faire, je vais faire du vélo. Et, quand je sais quoi faire... c’est souvent faire du vélo. En résumé, c’est un bon bout de notre quotidien, de notre vie.
Au début, vous faisiez de la race. Pourquoi avoir bifurqué vers le freestyle ?
Maxime : En race, la dimension physique est primordiale, ce sont des athlètes qui passent beaucoup de temps à la salle de sport. En freestyle, le bagage technique est infini.
Timothé : On a toujours fait un peu de freestyle à côté. Des freestyleurs ont commencé à venir ici, à La Colle. Ce qu’ils faisaient avait l’air bien plus amusant que ce que je faisais moi en race. J’ai switché vers l’âge de 12 ans. On n’a jamais fait du vélo pour être pro. On pratique parce qu’on aime ça. Donc, si on me dit que, pour progresser, il faut faire de la muscu et des sprints en côte toute la journée... ce n’est pas vraiment ce que j’ai envie de faire.
Maxime : En fait, on a juste trouvé un moyen de repasser beaucoup de temps sur le vélo. Les dernières années, j’avais encore des résultats en race, mais je tournais en rond, alors qu’en free, j’apprenais des nouveaux trucs.
Les premiers résultats en freestyle ?
Maxime : En fait, quand j’ai basculé sur le freestyle, je ne voulais même plus qu’on me parle de compétition, de course.
Timothé : Après l’école, on montait ici et on s’entraînait. Le but, c’était d’apprendre de nouvelles figures. Et puis, un jour, il y avait le FISE (Festival International des Sports Extrêmes) à Montpellier et un pote m’a appelé : « venez faire la compét’. » Il n’y avait plus de place en moins de 16 ans et je l’ai faite en amateur. C’était reparti, d’autant qu’ici il y avait des riders, comme Thomas Debatisse, qui baignaient là-dedans et nous emmenaient. Sans eux, on aurait davantage pris notre temps.
Maxime : Et, au final, on a trouvé que l’ambiance des événements freestyle était bien plus à la cool que la race. Ça faisait moins penser à une compét’. On avait des bases solides et on a performé assez vite. On a roulé en Pro vers 15-16 ans pour Tim, 16-17 ans pour moi. J’ai été rapidement dans le top 20 dans les compét’ de « Freestyle Park » (enchaînement de figures créatives et esthétiques) et Tim dans le top 10 en « Dirt » (le Dirt bike est un hybride entre un vélo de montagne et un BMX).
Pourquoi avoir opté pour des disciplines différentes, le BMX Freestyle pour Maxime et le VTT slopestyle pour Timothé ?
Maxime : Vers mes 20 ans, le FISE, le plus gros organisateur d’événements privés dans notre sport, s’est affilié à l’UCI pour permettre à notre sport d’intégrer les disciplines olympiques. Du coup, ils ont mis le paquet sur le BMX Park (qui se pratique sur des skate parks) et laissé de côté la bosse en terre, le Dirt...
Timothé : Or, le Dirt, c’était la discipline qui m’intéressait le plus et il n’y avait presque plus de compét’. Une marque de VTT m’a proposé de me prêter des vélos pour l’année. J’ai essayé... et je suis resté.
Quels sont vos meilleurs résultats ?
Timothé : Je concours, en VTT Slopestyle, dans la catégorie « Diamant », la catégorie qui regroupe le top 12 mondial. Cette année, il y avait 4 événements et je finis 2e au classement mondial (Crank Worx, le plus gros circuit). L’année 2022, j’avais fait 3e. L’an dernier, ce n’était pas la meilleure saison de ma vie (j’avais crevé pendant un run), je m’étais classé 6e.
Maxime : J’ai été au Pôle France de Montpellier pendant 4 ans. Je viens de le quitter. Je faisais partie de la cellule olympique pour les Jeux de Paris comme pour ceux de Tokyo avant. J’ai participé à de nombreuses Coupes du monde avec l’équipe de France de BMX Freestyle, mais aussi des championnats du monde et d’Europe. J’ai fait deux podiums aux championnats de France. Mon meilleur résultat en Championnat du monde, c’est 13e à Abu Dhabi en 2022. J’ai mené de front ma carrière sportive et une formation de kiné (il est diplômé depuis octobre 2023, ndlr). Ça me faisait des journées conséquentes toute l’année. C’était compliqué de gérer les deux. Le skate park n’était pas ouvert quand j’étais dispo. Difficile de s’entraîner dans ces conditions. Aujourd’hui, j’ai toujours envie de me dépasser dans mon sport mais différemment (lire par ailleurs).
Comment s’organise votre vie de sportif de haut niveau ?
Timothé : Les déplacements, c’est monumental. Rien qu’en démonstrations, en deux mois, j’ai fait dix dates, plus quatre compét’, en Nouvelle-Zélande, en Australie... Je ne suis pas beaucoup à la maison. On a soit des événements médias, soit des démonstrations, soit des compétitions. Ça ne s’arrête jamais, surtout l’été.
Maxime : Même quand il n’y a pas de compét’ ou de démonstrations, on aime bien bouger pour rouler d’autres bosses qui nous permettront de tester de nouvelles figures et de les reproduire ensuite ailleurs. Ça fait de l’expérience de rouler sur d’autres terrains, ça fait partie du sport.
Votre relation de frères : concurrents ou complémentaires ?
Maxime : On est clairement complémentaires. A deux, on est, tout le temps, motivés. On a toujours quelqu’un avec qui rouler. Parfois, on se mettait des missions, on essayait de plaquer le tricks en premier. Mais ce n’était pas de la compét’, juste un défi, de la motivation. On partage un moment où il y a de l’adrénaline, où on se dépasse. C’est important.
Timothé : On n’aurait pas roulé comme ça s’il n’y avait pas l’autre. Je lui ai apporté des figures, il m’a apporté des lignes, des façons de rouler. C’est pour ça qu’on sait tout faire, parce qu’on a beaucoup roulé ensemble.
DES TRICKS
MADE IN BRINGER !
Toujours en quête de nouvelles figures,
Timothé rembobine ces moments où il a posé le mouvement parfait.
Inédit. Un instant d’éternité. Une façon d’immiscer un orteil dans la légende de son sport.
« En 2015, au FISE de Montpellier, j’ai posé un flip back flip double tailwhip to barspin (soit deux tours de vélo autour de la direction avec les mains sur le guidon, on rattrape avec les pieds et fait tourner une fois le guidon, le tout en back flip, c’est-à-dire la tête en bas, ndlr). Les rives du Lez étaient pleines de monde. Sur ma première tentative, je me loupe, j’ai mis un coup de tête dans la rampe, j’étais un peu calmé. J’ai fini par y arriver au 6e essai. C’était la folie, tous les potes sont montés sur la plateforme pour me féliciter. Cette figure, je la fais maintenant en VTT, c’est toujours un tricks dans le vent ».
« Il y a une autre figure auquel on a donné un nom : le panda whip. Ça sort de mes sessions trampoline. On a un trampoline à la maison avec un vélo sans roue. On a passé un temps fou à reproduire des figures là-dessus. Cette figure existe en trottinette. C’est un tailwhip avec un bartwist ».
Fire Bike Company : leur nouvelle boîte d'événementiel
Les deux frères viennent de créer leur structure d’événementiels baptisée Fire Bike Company. « On présente des shows de BMX et VTT freestyle. On a des rampes et on propose des prestations clés en mains avec différents packages comprenant du BMX flat, des initiations... On s’adresse aux entreprises, aux villes, aux organisateurs d’événements ». Un monde qu’ils connaissent bien : Maxime a notamment fait des prestations cet été pour le Tour de France à Nice, il était à la Cérémonie d’ouverture des JO... Et, ensemble, les deux frères ont participé à de nombreux Salons du deux-roues et autres...
Pour contacter Fire Bike Company : contact@firebikecompany.com
CEREMONIE D’OUVERTURE DES JEUX DE PARIS : LE SHOW AVEC MAXIME PAS DIFFUSÉ
Tout était prêt. Deux barges sur la Seine équipées de rampes pour permettre aux freestyleurs du Pôle France, dont Maxime, de présenter leur show. Mais il y a eu un grain de sable : la pluie. Des conditions compliquées pour effectuer le run prévu. Mais on aurait quand même pu profiter de leur spectacle, comme l’explique Maxime : « On a fait toutes les répétitions. On devait performer en live et filmer des images diffusées pendant la cérémonie. » Maxime devait notamment sauter d’une barge à l’autre. « L’après-midi, on a tout filmé pour diffuser le show si la pluie nous empêchait de le faire. Et puis, au final, ils n’ont rien montré du tout... C’est dommage, c’était impressionnant, c’était beau. »
Maxime ne regrette pas pour autant : « C’était une expérience vraiment cool. Maquillés, en costumes, on a roulé sur l’eau en plein Paris ! »
ARTISTES DANS LA PEAU
Casquette à l’envers. Piercings et tatouages multiples sur le corps. La culture freestyle, c’est aussi un art de vivre. Un côté créatif. Dessiner avec son vélo de nouvelles figures dans le ciel, tracer de nouvelles lignes sur le skate park. « On a été influencés par les pros du BMX de nos jeunes années. C’étaient tous des rock-stars », rembobine Maxime. « Ils étaient tous tatoués, avec des baggys ».
Amis du graffeur niçois Otom, Maxime s’est mis au graff en loisirs. Mais aussi au tatouage, initié par le pote Guitou. Il embarque son frère dans l’aventure, multipliant les expériences sur leurs corps depuis le premier palmier tatoué sur la jambe des deux frères lors d’un séjour aux US. Leurs corps, c’est une BD. « Il y a de tout : les blases des copains, des trucs débiles, une guitare, un teckel bien membré », avance Tim. « Tous les tattoos, je me rappelle avec qui je les ai faits, où on était. C’est que des souvenirs... », ajoute Max. Ce côté artiste grignote petit à petit sa vie. « Le tatouage, ça me plaît vraiment, j’ai envie d’en faire quelque chose. J’ai aussi dessiné le logo de notre boîte et de celle d’un copain », se projette le freestyleur.
Tim, lui, s’est aussi essayé à faire des sons avec son pote rider Thomas Lemoine. « C’est de l’amusement. On a fait un showcase ensemble au Canada », développe le VTTiste. Des créateurs touche-à-tout, en somme.