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Philippe Croizon : vivre au-delà des frontières !



En 1994, Philippe Croizon était électrocuté. Amputé des deux bras et des deux jambes, mais miraculé. Exemple de résilience, avec deux armes absolues, l’humour et l’amour, il traversait La Manche à la nage dix ans après le drame, avant de relier les cinq continents. Un exploit relaté dans le documentaire « nager au-delà des frontières ». Record du monde de plongée en apnée, saut en parachute, rallye Paris-Dakar et, peut-être, voyage dans l’espace, rien n’arrête cette « Personne capable autrement ». Sans frontières et, surtout, sans limites !

Par Sébastien Noir/Photos Fonds personnel Philippe Croizon


Le 5 mars, Philippe Croizon souffle trente bougies. Et pourtant, il n’a pas trente ans, faut pas pousser. C’est le 5 mars 1994, en effet, que sa famille déménage pour une maison plus grande en raison de la naissance pro- chaine de Grégory, le futur petit frère de Jérémy, alors âgé de 7 ans. Pour

fêter ça, l’ouvrier natif de Châtellerault orga- nise un barbecue familial. Sauf qu’il ne sait pas encore que la viande grillée sera la sienne...

La faute à l’antenne TV sur le toit, que les Croizon ne veulent pas laisser au moment de quitter leur maison de Saint-Rémy-sur- Creuse. Philippe en replay. « Elle s’est rapprochée d’une ligne à haute tension, formant un arc électrique. Vingt mille volts se sont déversés dans mon corps ».

A faire passer Cloclo pour un apprenti électricien...

Le cœur s’arrête. Repart. Famille et amis ont le palpitant en alerte.La tension est palpable. Enfin, surtout celle qui lui traverse le corps. Plutôt, ce qu’il en reste. Tout est consumé à l’intérieur. La victime est alors héliportée vers l’unité des grands brûlés. Dans un hôpital, Philippe hurle de souffrance. Plus loin, dans un autre lit, Jérémy pousse son premier cri. L’un vient de naître. L’autre de renaître. Mais il ne le sait pas encore...


L’HUMOUR DONNE DES AILES



Il y a ensuite eu un long parcours de vie. Cinq phases du deuil. Négation « on refuse la sanction. Avec toutes les questions. Les pourquoi. Mais il n’y a pas de réponse. » La négociation. « Dois-je partir ? Dois-je rester ? » La dépression. La colère. Le retour à la vie. Cet instant béni où il pose... le pied sur la planète humour. Un petit pas pour lui, un grand pas pour sa résilience. Une arme de reconstruction absolue, qu’il a croisée dès son héliportage vers l’hôpital. Le pilote veut se poser sur le stade municipal. Pour se guider dans l’obscurité, il demande de rallumer la lumière. L’urgentiste lui répond alors : « Impossible, le mec a tout fait sauter dans la ville ».

L’autre petite lumière, celle au fond de son âme, ne s’éteindra plus jamais. Elle porte un nom : le rire.« J’ai toujours été un boute-en-train. Deux femmes m’ont élevé. Ma mère et ma grand- mère. Ma mère m’a très souvent déguisé. Ma grand-mère m’a inculqué des valeurs fortes. Et m’a toujours dit ‘’il ne faut jamais avoir les chevilles qui gonflent’’. Ça, au moins, j’y suis parvenu », éclate-t-il de rire.

L’électricité, aujourd’hui, ça coûte un bras. Lui, ça lui en a coûté deux. Et les deux jambes. Mais Philippe a su conserver cette incroyable énergie. Même dans les moments les plus difficiles, Philippe se raccroche à cet humour qui panse les plaies les plus béantes. Il cautérise ses états d’âme par ce remède qu’il possède depuis sa plus tendre enfance. Il le pousse parfois à son paroxysme : « Je voulais me suicider. J’ai beaucoup bu avant de passer à l’acte. Mais marcher bourré avec des pro- thèses... Alors, j’ai renoncé ».

On peut rire de tout ! Un verdict sans appel lancé, pour une fois, par une victime. Philippe n’hésite pas. Même les faits-divers l’inspire : « J’ai lu un tweet : ‘’macabre découverte, on a retrouvé un réfrigérateur avec des bras et des jambes dans le congélateur’’. J’ai ré- pondu le congélateur m’intéresse ! ». Ou encore : « Le corps d’un homme a été brûlé à 80% après avoir grimpé sur un pylône électrique ». Réaction de Philippe : « La concurrence devient féroce ».

Que dire aussi de ses remerciements pour la transition de M6 qui termine son reportage sur les agriculteurs en expliquant « qu’ils manquent de plus en plus de bras » avant d’annoncer la sortie de son livre ? Ou lorsqu’il pose à la piscine en légendant la photo d’un « Je viens de me rendre compte que même dans la pédiluve je n’ai pas pied » ? Ou encore devant un plateau d’huitres : « On vient de me mettre un rince-doigt. Elle n’est pas belle la vie ?»


« PAS DE BRAS, PAS DE CHOCOLAT »

Comment la vie peut-elle être belle lorsqu’on est quadri amputé ? Comment peut-on conserver cet état d’esprit si remarquable ? La réponse fuse : « Depuis 1994, je ne me suis jamais levé du pied gauche ». Adepte du contre-pied, on se demande même si Phi- lippe Croizon n’a pas choisi exprès de débuter ses exploits sportifs par la traversée... de La Manche. Ou le titre de son livre : « Pas de bras, pas de chocolat ! »

Au-delà de l’humour, Philippe est un homme au cœur immense. On comprend mieux pourquoi il a choisi Jérémy Ferrari, la Formule 1 de l’humour noir, pour parrainer son association, Handicap 2000.

« Jérémy est désormais un proche. Et, dans la vie, les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main », lance-t-il dans un éclat de rire. Avant de conclure : « J’aime ma vie d’aujourd’hui. Je ne voudrais en changer pour rien au monde, même si on me redonnait mes bras et mes jambes ». Et ça, ce n’est pas de l’humour...


L’AMOUR DONNE DES PALMES



L’humour est une arme de résilience, mais il est aussi un formidable atout dans la séduction. Rongé par la solitude, il décide de s’inscrire sur un site de rencontres en 2006. Après de longues discussions avec Suzana, « 39 ans, maman de trois enfants, qui aime la nature, partager de bons moments, voyager. Sérieuse », il lui écrit : « Je t’annonce mon premier handicap, sur la photo, j’ai les cheveux dans le vent, mais le vent était trop fort, je ne les ai pas retrou- vés ». Une approche un peu « capillotractée », mais Éole et Cupidon semblent sur la même longueur d’onde.

« Si le vent souffle vers moi, je te les ramè- nerai », lui répond Suzana, Sabino de son nom.« Il m’a envoyé une photo où on ne voyait que sa tête », se souvient-elle. « Pas fou ! », réplique-t-il.

Pourtant, très vite, Philippe avoue l’inconcevable à Suzana. Amputé des quatre membres. Pas du cœur. Alors, elle cède. Accepte une rencontre qui va littéralement changer leur vie. « Un jeudi d’octobre 2006, écrit Suzana dans le livre « Ma vie » pour deux. Je suis arrivée avec un bouquet de roses rouges et l’ai immédiatement embrassé... sur la bouche ! »

Un baiser entre « une femme trop belle pour moi » comme l’a écrit Philippe, et « un homme dont je suis tombée amoureuse dès le premier regard », selon le propre aveu de Suzana, qui nouait deux vies. En une seule. Faite d’aventures et d’exploits : « l’impossible que Suzana a pu et su rendre possible. L’amour donne des palmes... ». Mais avant de se lancer à l’eau, Suzana et Philippe se sont installés ensemble. « Elle est passée d’aimante à aidante, avoue Croizon. Et je ne l’ai pas assez écoutée. Epaulée. Elle a dû marcher 800 km sur le chemin de Compostelle afin de se res- sourcer. C’est Suzana la véritable héroïne ! »

Il projette de traverser La Manche. Elle l’encourage. Il veut sauter en parachute. Battre le record du monde de plongée en apnée. Elle est toujours là, à le pousser vers ses rêves les plus fous. « La seule fois où ce fut difficile, c’est lorsque nous avions décidé de traverser les cinq continents à la nage juste après La Manche alors que j’avais promis à Suzana d’arrêter. Je le lui ai longtemps caché. Et puis, lors d’une émission avec Sophie Davant, la présentatrice a vendu la mèche. Je me suis fait descendre en flèche. Mais l’amour a pris le dessus ». Encore et toujours. Même lorsqu’il lui confie vouloir boucler un Paris-Dakar, en 2017, Suzana est présente. « C’est sur cette épreuve que je l’ai demandée en mariage. Lors d’une étape, je n’ai pas eu de ses nouvelles, j’ai eu tellement peur que j’ai vrai- ment réalisé son importance à mes côtés. Alors, j’ai attendu la fin de l’épreuve pour lui offrir une bague que j’avais demandée à un cadreur de M6 avant de lui offrir la vraie à notre retour », rigole Philippe.

C’était le 14 janvier 2017 à Buenos Aires. Une date à jamais inscrite dans leurs cœurs.


Debout face à sa grand-mère !

« J’avais un objectif : marcher le jour des 50 ans de mariage de mes grands-pa- rents. Tout le monde était dans la salle des fêtes et personne ne savait que j’allais venir. Je suis là, debout, face à ma grand- mère, qui est l’amour de ma vie. Elle s’est mise à pleurer. Je chiale aussi. Nous avons fait un gros câlin. Et ça, ça n’a pas de prix ».


CINQ CONTINENTS RELIES EN QUATRE MOIS

« J’étais gros comme un lardon, je ne savais même pas nager.Je passais mes journées sur le canapé à regarder la télé ».

C’est d’ailleurs à la télé, sur mon lit d’hôpital que j’avais vu une jeune fille traverser La Manche. Ça m’a inspiré. Et tout est devenu possible avec des prothèses palmes et la présence de Suzana à mes côtés ». Le 18 septembre 2010, en 13 heures et 26 mi- nutes, il parvient à poser la palme sur le sol après avoir franchi La Manche. « Un bon- heur immense, mais mélangé avec de la tristesse. Voilà, c’était fini. L’équipe ? Qu’ad- viendra-t-il d’elle ? Allais-je retourner sur mon canapé ? Arnaud Chassery, un nageur longue distance, m’avait suivi, encouragé lors des derniers mètres. Alors on est reparti. Ensemble ! Relier les cinq continents devenait, peu à peu, une véritable obsession ». Nager sans frontières. « Par analogie à Médecins Sans Frontières. Nous voulions emmener dans nos valises les valeurs telles que acceptation, estime, solidarité, respect des différences... Partager les sentiments de paix et de solidarité entre les peuples des cinq continents ».

Le projet change alors de dimension : « On dit que c’est un exploit sportif à 90% et une aventure humaine à 10%. Nous, on a fait l’inverse. On a rencontré des inuit, des papous. L’un d’entre eux ne savait pas nager. Il nous a regardés. Nous a rejoints. Et puis, lorsqu’on a touché terre, deux heures plus tard, sont arrivés un nageur valide, un handicapé... et un papou ! », plaisante Philippe. Le papou ne sera pas là le 18 aôut 2012. Mais il est certain qu’il aura appris, ce jour- là, que Philippe Croizon et Arnaud Chassery avait réussi leur pari fou.








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