PAR SEBASTIEN NOIR
Enfant du Rocher et fils de mer. Le Monégasque, quadruple champion du monde d’apnée, consacre sa seconde vie à la préservation de la nature. De l’élément aquatique. Pour atteindre cet objectif, Pierre Frolla mise sur la transmission, l’éducation. Il multiplie ainsi ses activités : « Recordman du monde, plongeur de l’extrême, éducateur, aventurier, cameraman sous-marin, conférencier, coach… il est l’homme pressé de l’apnée », peut-on lire sur son site. Alors, nous avons mis nos pas dans ses palmes afin de suivre les traces qu’il veut laisser sur cette planète qu’il aime tant !
Photo Greg Lecoeur
DANSE AVEC LES REQUINS
« Je suis né en 1975, donc de la génération du film ‘’Les dents de la mer’’. J’ai toujours eu une phobie des requins.
Mais je me suis aperçu que c’était l’inconnu qui provoquait la crainte ».
Il devait donc dompter cette… peur bleue !
En 2007, Pierre décide alors de passer le pas avec ses deux acolytes, Fred Buyle et Marc Adisson. Il nage avec des « petits » requins. « Quand j’ai croisé mon premier squale, un énorme requin-citron, je n’en ai pas cru mes yeux : en m’apercevant, le géant a aussitôt fait demi-tour pour s’enfuir dare-dare. C’est lui qui avait peur de moi… J’ai compris aussi que le requin n’est pas une espèce menaçante, mais une espèce menacée. » Un échange et des beaux souvenirs en prime : « Une fois, un requin tigre de 3,5 mètres a dansé autour de moi. Il a nagé, tourné, m’a imité. Un effet miroir… Incroyable. Enfin, je me laisse descendre sur le dos, et le requin me rejoint, s’approche tout près. Je tends ma main et il pose son nez et me pousse tout doucement vers le fond. Le requin s’est alors éloigné. J’ai tendu la main de nouveau, il est revenu la toucher. C’était complètement dingue ».
En 2012, dans le cadre de l’exposition « Vivent les requins ! », à l’aquarium de Paris, Frolla a nagé pendant trois quarts d’heure dans un bassin au milieu de 25 requins. Il voulait attirer l’attention « sur le caractère pacifique de ces animaux et sur la menace d’extinction qui pèse sur eux ».
Et puis, il y eu la grande rencontre avec le requin blanc. Magique. Inoubliable !
Photo Greg Lecoeur
TARA ET LE BALEINEAU
L’émotion, la vraie, c’est en compagnie de Tara, 8 ans, qu’il va la connaître.
Ce jour-là, Pierre Frolla accompagne un groupe d’enfants, en 2012, à La Réunion, au cœur d’un beau projet : « Nous devions descendre en plongée libre pour les sensibiliser et qu’ils deviennent ensuite des ambassadeurs de l’environnement ». L’apnéiste va alors faire une rencontre qu’il n’oubliera jamais. Un moment suspendu au cours duquel il est difficile de mettre des mots. Surtout dans le monde du silence… « Nous avons vu une baleine et son baleineau. Ce dernier, 5 mètres de long et 3-4 tonnes, s’est placé entre Tara et moi. Sa mère, posée sur le fond, à une quinzaine de mètres, a pris conscience du danger. Elle a séparé son petit de Tara avec sa pectorale. Elle m’a regardé et m’a fait comprendre qu’il était temps de la récupérer. Elle ne m’a pas quitté du regard tout le temps qu’il m’a fallu pour faire le tour et reprendre Tara par la main. Elle semblait me dire : ‘’Alors, tu vas faire attention à ton enfant maintenant ?”
Une grande leçon d'humilité ».
« Nous avons vu une baleine et son baleineau. Ce dernier, 5 mètres de long et 3-4 tonnes, s’est placé entre Tara et moi ».
Photo Fred Buyle
L’APNÉE, UN SPORT INDIVIDUEL PRATIQUÉ EN ÉQUIPE
« Il n’y a rien de plus beau que de donner les clefs de la réussite. De ta réussite. S’accomplir dans la fraternité, c’est magnifique ». Pierre Frolla le dit souvent, l’apnée est un sport individuel pratiqué en équipe.
Mais, au fond (sic), c’est quoi la réussite ? « C’est perdurer. Il vaut mieux être un plongeur vieux et pas un vieux plongeur ». Et pour faire… de vieux os dans cette discipline, il faut donc être bien entouré. « J’ai compris assez vite qu’il était impératif de se prémunir des risques et des accidents ».
Partage, respect, abnégation, courage et humilité, maturité, patience, persévérance, autant de valeurs que Pierre véhiculait lorsqu’il cherchait la performance. Et qu’il continue de mettre en avant.
Le succès, le record, tout cela devient alors collectif. « On n’oublie jamais les efforts consentis et les objectifs à atteindre. La magie d’une performance, c’est quand elle a été difficile. Mais c’est aussi, et surtout, s’accorder dans la fraternité. La seule condition pour atteindre le Nirvana, c’est l’humilité. Parce que l’eau presse notre corps. C’est un stress physiologique qui a un impact psychologique. Il faut apprendre à se soumettre. A être patient. A accepter les gamelles, alors, on parvient au sommet des montagnes. Ou au fond des océans ».
Et la peur dans tout ça ? Faut-il l’apprivoiser ? L’a-t-il côtoyée parfois ? Pierre sourit : « La préparation est devenue une pathologie chez moi. La planification est plus importante que la préparation. Une seule fois, je suis descendu à 115 mètres. Ma gueuze s’est enfoncée dans une motte de glaise. J’ai failli ne pas parvenir à me dégager. C’est l’unique moment où je me suis dit ‘’tout s’arrête aujourd’hui’’. Quant aux animaux, les requins m’ont attrapé deux fois les palmes. Et l’un d’eux a posé son nez sur ma nuque, c’était un peu limite, mais non, je n’ai jamais eu peur ».
Recordman mondial d’apnée et ambassadeur « The Sea is green »
Bien sûr, Pierre, c’est d’abord un formidable champion. Détenteur de trois records du monde en apnée en poids constant (on descend le plus profondément possible à la force des bras et des jambes) et un en poids variable (aidé d’une gueuse, le long du câble), c’est aussi et surtout un amoureux de la mer qu’il a découverte en pratiquant la chasse sous-marine avec son frère Philippe. Au fil de ses plongées, de ses expériences subaquatiques, Pierre a pris conscience des dangers qui menacent les océans en général, la Méditerranée en particulier. « Chaque année, 11 700 tonnes de déchets plastiques y sont déversées. Ces déchets sont transformés en micro plastiques que l’on retrouve dans les corps des animaux et les nôtres également », détaille Pierre Frolla. Avant de lancer avec force : « La mer ne se porte pas mieux. Mais elle est mieux protégée aujourd’hui. Et il n’est jamais trop tard ! Nous ne devons pas baisser les bras. Il faut aider, éduquer, soutenir afin de léguer. Il est hors de question d’abandonner, montrons l’exemple ». Et Pierre sait de quoi il parle. Il a ainsi été nommé ambassadeur « The Sea is green » de la SBM (Société des Bains de Mer). « Une mission de quatre mois qui m’a séduit. Parce que la SBM a toujours été très regardante sur les moyens nécessaires pour réaliser des économies environnementales. Elle s’est investie dans la RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Elle s’est aperçue ainsi qu’elle changeait de clientèle, davantage soucieuse de l’écologie et plus seulement à la recherche du luxe. Des choses très intéressantes sont en place, comme le système de climatisation et de chauffage grâce à de l’eau de mer, portée à la température voulue, avant d’être réacheminée vers la Méditerranée. C’est vraiment ingénieux. Et quand une société comme la SBM devient lanceuse d’alerte, un vrai exemple en matière écologique, les actions prennent tout leur sens ».
Transmettre pour mieux protéger
Mais cela ne suffit évidemment pas. Pierre Frolla le sait depuis longtemps, ce qui fait la différence, c’est la sensibilisation. Et la transmission. Mais aussi, et surtout, de la patience. « Il est impératif d’avoir les bonnes idées. Ensuite, il faut du temps. Enormément de temps. Depuis le début de ma carrière, j’essaie d’être utile. De rendre. De transmettre mon savoir, mes valeurs et ma passion ».
Pierre a alors créé sa première école, « L’école bleue », une référence internationale dans le domaine de la plongée pour les enfants et leur formation. « On apprend à la jeune génération à découvrir, aimer, à respecter et préserver la mer et son monde sous-marin ». L’école est ensuite devenue Centre de Sauvetage Aquatique et de Plongée de Monaco. « Qui fait partie d’une entité, aujourd’hui, l’Académie monégasque de la Mer. Avec le soutien de la Fondation Princesse Charlène de Monaco, nous recevons plus de 4 000 enfants par an que nous sensibilisons à travers la plongée libre, en scaphandre et de sauvetage aquatique, à la connaissance et à la protection de la faune et de la flore méditerranéennes et océaniques. Nous leurs apprenons également le sauvetage en mer : il y a plus de 360 000 noyades chaque année à travers le monde ».
Enfin, pour parfaire sa panoplie du parfait ambassadeur de la mer, Pierre Frolla donne des conférences chaque année à travers le monde. L’idéal pour toucher tous les publics sensibilisés à cette noble cause.
Photo Greg Lecoeur
L'EXEMPLE
« J’ai toujours essayé d’être à la hauteur. Mais ça se mérite au quotidien d’être un exemple »
Homme au coeur immense – Pierre Frolla est le parrain de nombreuses associations et participe à énormément d’actions caritatives – le champion d’apnée est un exemple.
Il en a pleinement conscience. « J’ai toujours essayé d’être à la hauteur. Mais ça se mérite au quotidien d’être un exemple ».
Ainsi, à travers moult films et livres, entourés des meilleurs à l’image de Greg Lecoeur, l’un des plus grands photographes mondiaux de la faune sous-marine, Christophe Ferré, romancier lauréat du Grand Prix de la nouvelle de l’Académie française, ou encore Kévin Sempe, réalisateur de talent, spécialiste des images sous-marines, il a souhaité partager ses plus belles rencontres avec les mammifères marins afin de tous nous sensibiliser à la beauté et à la fragilité du monde sous-marin.
Requins, cachalots, crocodiles, baleines, dauphins, tortues : les images vidéos et ses photos sont saisissantes ! Presque irréelles. Et pourtant…
Photo Greg Lecoeur
NOCES SUBAQUATIQUES
« Mon mariage est le plus beau du monde ! Le plus profond ! » Pierre est un homme de coeur, on l’a dit.
De partage. C’est tout naturellement qu’il a épousé Mara Demurtas.
Le 4 juillet 2015 (jour des 30 ans de la future mariée), sur la plage du Larvotto, tout ce beau monde s’est retrouvé pour des noces subaquatiques.
Et pourtant, ce n’était pas gagné ! Tous les espoirs de Pierre ont failli être noyés dès sa demande effectuée. En effet, Mara « à la base, avait une contre-indication permanente à la plongée. Mais comme elle adore cela, elle s’est entraînée dur et a fini par palier son handicap et devenir une vraie plongeuse ».
C’est ainsi que le jour J, quelque 70 plongeurs ont formé la marche-plongée nuptiale, menant Pierre et Mara, costard et robe immaculée sur combi, à l’autel sous-marin. Ou plutôt, dans « un jardin au milieu de l’Atlantide. Que j’avais imaginé. J’ai alors placé au fond de la mer des vasques, des amphores, des statues antiques, des coquillages…. Nous avons choisi un site facile d’accès, sur un site dénommé MIMO, au pied d’une statue de dauphin de 4 mètres de hauteur que j’avais immergée avec le prince Albert II ».
Le Souverain était là, lui aussi, témoin de ces noces insolites. « C’est un très bon plongeur et un élève remarquable ». Un moment inoubliable pour tous, et surtout pour Pierre et Mara, qui aura duré une vingtaine de minutes. Un instant à jamais immortalisé par l’objectif de Greg Lecoeur, grâce à qui, nous aussi, nous pouvons affirmer : ce mariage était magnifique ! Le plus profond !