top of page
  • Facebook
  • Instagram

Samir Aït Saïd : Jeux décisifs





PAR THIERRY SUIRE

PHOTOS SÉBASTIEN BOTELLA


Voir Paris et sourire. Après la blessure de Rio et les larmes de Tokyo, le seigneur des anneaux français met tout en œuvre pour briller au pied de la Tour Eiffel. Pour ramener une médaille à la maison. Les J.O., ce Graal qui le porte, qui l’a tant fait souffrir. 2024, c’est l’occasion de balayer tout ça, d’assouvir enfin son rêve profond. Pour son père, pour ses proches, pour la France. Donner vie à cette promesse formulée après sa 4e place en Asie. Son parcours, ses reconstructions, sa course à l’Olympe…

Le gymnaste antibois se livre. Corps et âme.


Tomber, se relever... tomber, se relever. Sam, comme l’appellent ses amis, est un formidable modèle de résilience. Une force physique doublée d’une détermination mentale exceptionnelle. Sur sa route des anneaux olympiques, les Dieux du sport ont semé tellement d’embûches que le commun des sportifs aurait jeté l’éponge. Lui se bat, s’accroche.

À quelque 100 jours des Jeux de Paris ! la compétition d’une vie !, le gymnaste de 33 ans est encore lancé dans un incroyable parcours du combattant. Les douze travaux de Samir. Quatre manches de Coupe du

monde dans lesquelles il doit performer pour, simplement, permettre au meilleur français aux anneaux de participer aux Jeux. A "ses Jeux". Pas le droit à l’erreur. Une pression de dingue à chaque mouvement.

On le retrouve à Antibes, gymnase Pierre Brochard, siège du Pôle France. Sa 2e maison depuis l’âge de 11 ans. Assis sur un tapis, Samir Aït Saïd prend des notes sur un calepin. Échange avec son entraîneur Kévin

Dupuis. Remonte aux anneaux pour répéter son mouvement. Il est rentré quelques jours plus tôt de Bakou, en Azerbaïdjan. Ville où il

a glané de précieux points en vue de sa qualification olympique. Mais il ne s’emballe pas : "Rien n’est fait, il faut rester focus sur

la prochaine compétition. Après, on pourra parler des Jeux. Avancer step by step". Concentré sur son objectif, il s’arrête de longues minutes pour échanger à bâtons rompus. Interview.


POURQUOI, À 100 JOURS DES JEUX, VOUS DEVEZ ENCORE ÊTRE À LA

BAGARRE POUR DÉCROCHER LE DROIT DE PARTICIPER ?

C’est un parcours atypique. Normalement, la qualification aurait dû être acquise en octobre dernier lors des championnats du monde par équipe. Mais il y a eu une grosse contre-performance de la France qui a terminé 19e. Donc, la seule option pour se qualifier, c’est d’obtenir son ticket en individuel.


ÊTRE MOBILISÉ PAR LA QUALIF’, SI PROCHE DE L’ÉVÉNEMENT, C’EST DUR ?

On n’y pense pas. Au contraire, je me dis que ça sert à la préparation des Jeux. Je prends ça comme une chance. Je vois toujours le verre à moitié plein. De toute façon, je n’ai pas le choix.


MAIS, LA PRESSION, À CHAQUE COMPÉTITION, EST IMMENSE...

Clairement. On ne peut pas se permettre de se louper. Donc, oui, il faut gérer cette pression. On ne fait pas les malins ! C’est bien plus stressant les qualifications olympiques que les Jeux eux-mêmes. Ça a toujours été, même à Tokyo ou Rio.


QUELLE PRÉPARATION POUR CES RENDEZ-VOUS ?

Entraînement, entraînement, entraînement. Toujours plus. Mais en dosant les efforts. Mon entraîneur, Kévin Dupuis, et mon préparateur physique, Christophe Keller, m’ont beaucoup apporté là-dessus. Tout est

quantifié. Quand on a fait le taf, c’est stop ! Il faut savoir s’arrêter. Enfin, pour absorber la pression, je travaille aussi avec mon préparateur mental Olivier Mariano.


COMMENT S’ORGANISENT VOS JOURNÉES DANS LA PERSPECTIVE DE

CES RENDEZ-VOUS CRUCIAUX ?

Le matin est consacré au travail de prévention. Pour éviter les blessures :

travailler en excentrique, sur mes fléchisseurs des avant-bras, sur les extenseurs, les biceps, triceps... Ce que je ne faisais pas forcément avant. J’effectue ma préparation physique, au CREPS ou à la salle de fitness.

Je bosse le cardio dans la thermo-training room, une salle à 50° au CREPS. Ensuite, je rentre manger chez moi, je fais une petite

sieste si j’ai le temps, et puis je renquille ici, dans cette salle, pour l’aspect technique sur les anneaux. J’arrive à 16 heures et je n’ai pas forcément d’heure de fin. Quant aux week-ends, je mets au repos mon vieux corps !


LORS DES COMPÉTITIONS, JUSTE AVANT DE MONTER SUR LES AGRÈS,

QU’EST-CE QU’IL SE PASSE DANS VOTRE TÊTE ?

Je suis dans ma bulle. Je ferme les yeux. J’effectue un travail de visualisation. Je répète mentalement le mouvement, j’essaie

de ressentir toutes les sensations avec la gestuelle. Ça m’aide. Je mime le mouvement. J’ai l’impression d’être sur les agrès. À quel moment j’appuie, je contracte, je force, je redescends. Position croix, planche... Ce travail est primordial.


LORS DES COMPÉTITIONS, JUSTE AVANT DE MONTER SUR LES AGRÈS,

QU’EST!CE QU’IL SE PASSE DANS VOTRE TÊTE ?

Je suis dans ma bulle. Je ferme les yeux. J’effectue un travail de visualisation. Je répète mentalement le mouvement, j’essaie de ressentir toutes les sensations avec la gestuelle. Ça m’aide. Je mime le mouvement. J’ai l’impression d’être sur les agrès. À quel moment j’appuie, je contracte, je force, je redescends. Position croix, planche... Ce travail est primordial.



A L'ECOLE DE LA GYM




CHAPITRE 1. LA DÉCOUVERTE.

"Je suis tombé dans la gym complètement par hasard. A l’école, on en faisait avec la maîtresse. Je pensais que ça consistait juste à s’amuser sur

le trampoline. Donc, quand mon père a voulu m’inscrire au judo à Champigny-sur-Marne, dans la banlieue parisienne, je lui ai dit : “Attends,

je veux faire du trampoline. La bagarre, j’en fais assez à l’école !’’ J’étais un gamin assez turbulent et j’avais besoin de me dépenser, c’était ça le

principal. Ça aurait pu coller avec d’autres sports, mais la gym, c’est le premier à m’être tombé dans les mains".


CHAPITRE 2. LA VIE AU PÔLE.

"J’ai toujours eu des capacités physiques fortes. Techniquement, c’était plus difficile. J’ai dû combler ça. Persévérer. Déjà enfant, j’avais ce tempérament de ne rien lâcher. En 6e, j’ai intégré le Pôle France d’Antibes. C’était en 2001. J’y ai fait mes gammes. A 11 ans, j’arrivais de ma

banlieue, je ne connaissais pas le haut-niveau. Ici, j’ai vu des extraterrestres, des petits de mon âge qui m’éclataient. C’était chaud. Ils me mettaient une tempête ! Cela a réveillé mon ego. Hors de question d’être à la ramasse par rapport à mes potes. Je n’ai rien lâché. Une fois qu’on met un pied ici, on comprend très vite pourquoi on est là.

On turbine du matin au soir. On a une vie d’adulte à 11 ans. Tu te dis : c’est chouette, tu t’entraînes avec des champions que tu vois à la télé. C’est

excitant. Il y a une dynamique. Si tu ne fais pas les efforts, c’est retour à la case départ. On a vu passer des talents, repartir des jeunes prodiges.

On a vu aussi des gamins pas particulièrement doués qui, avec les années, ont percé. Il n’y a pas de règle : c’est toi et ton envie, toi et ton mental, toi et ton travail."


CHAPITRE 3. LA COUR DES GRANDS.

"Mon premier coup d’éclat remonte à 2004. Je devais me qualifier pour mon premier match international Espoir. J’avais gagné les sélections

et, au dernier moment, l’entraîneur national me dit : “Non, Samir, tu ne pars pas’’. C’est un coup dur. Mais deux semaines après, l’entraîneur des

Juniors, la catégorie au-dessus, me prend pour les championnats d’Europe. Et je fais ma première médaille européenne ! Et la seule

médaille française. Ça a été une grosse satisfaction. J’ai toujours détesté l’injustice. Deux ans après, je suis champion d’Europe Junior. En 2008, je remonte à Paris. Pour intégrer l’INSEP et préparer les Jeux de Londres. Avant de redescendre dans le Sud... En fait, j’ai fait le yo-yo Paris-Antibes.

Finalement, je pense que chaque période de ma vie a été marquante. Les premières années antiboises, l’internat à l’INSEP, le retour ici... Chaque étape est une marche pour aller vers son objectif. "




ANTIBES,

MA VILLE

"Je suis devenu antibois. Je suis

très attaché à cette ville, qui me

le rend bien car elle a toujours été

auprès de moi. Un soutien indéfectible !"


LONDRES, RIO, TOKYO : JEUX DE MAUX


"Croyez-moi qu’à Paris, ça ne va pas être pareil." Les yeux embués par la déception de sa 4e place aux Jeux de Tokyo-2021, Samir promet. À chaud. Il promet d’être là, encore, la fois suivante, pour enfin gravir son Olympe. Pour être, à jamais, le seigneur français des anneaux olympiques."




Travailleur acharné, résiliant, il est prêt à tout donner pour sa dernière

olympiade. A 33 ans, c’est son tour, sa chance. Faire de Paris une fête. Sa fête. Et tourner la page des Jeux d’avant. De son histoire contrariée avec la plus grande des compétitions. Une histoire qui débute en 2012. Avant les Jeux de Londres, Samir Aït Saïd est clairement dans la course aux médailles. Vice-champion d’Europe 2010 aux anneaux, vice-champion d’Europe 2011 au saut de cheval. Mais une blessure au plateau tibial

survenue quelques mois avant les Jeux de Londres, à l’occasion des championnats d’Europe de Montpellier, le prive de ce premier grand rendez-vous.



L’histoire se répète quatre en plus tard à Rio en 2016. Mais, cette fois, Samir est dans la compétition. "Je me qualifie pour la finale aux anneaux et, juste après, je me blesse au saut de cheval". Une fracture du tibia!

péroné à la réception de son double salto carpé. L’image - terrible - fait le tour de la planète. "C’est un gros coup dur mais on ne lâche pas. J’ai très vite su me mettre en tête que ce n’était pas terminé, même si certains

le pensaient. Je voulais revenir plus fort. Et, c’est une fierté d’avoir tenu parole." Plus fort. En 2019, Samir décroche la médaille de bronze aux championnats du monde à Stuttgart. Aux anneaux, sa spécialité. Un

résultat qui le qualifie directement pour les Jeux de Tokyo qui, en raison de la pandémie de COVID, sont décalés en 2021. Il se hisse à nouveau en finale des anneaux mais se fait une déchirure au biceps gauche juste avant.

"J’y vais quand même. Pas question de laisser ma place. J’étais prêt à perdre mais pas à abandonner. Aux qualif’, j’étais 3e. J’avais toutes mes chances. Mais il m’a manqué la force. Je ne pouvais pas être aussi précis qu’en qualification. Terminer 4e, c’est dur." Mais, il promet de revenir. Encore. D’être présent à Paris. Après Tokyo, Samir fait un break de deux ans pour se remettre totalement de sa blessure. Il change de staff et réenclenche sa marche vers les Jeux.



Porte-drapeau en 2021

"C’est un coup de fil de la présidente du Comité national Olympique qui me l’apprend. Elle me dit : “Félicitations Samir, tu es le porte-drapeau de l’équipe de France olympique’’. C’est extraordinaire. Je suis le premier

gymnaste français à être porte-drapeau. Une fierté. C’est gravé à vie. Sur place, c’est que de l’émotion. Le salto en entrant dans le stade ? On m’a chauffé pour le faire. Je suis encore un grand gamin, alors il ne faut pas me chauffer trop longtemps."


Obligé de remplir le frigo

En parallèle de sa carrière de sportif de haut niveau, le gymnaste a décroché le diplôme de masseur-kinésithérapeute. Une activité qu’il a même commencé à pratiquer. "Je n’avais pas trop le choix.

J’étais dans la difficulté financière, il fallait remplir le frigo. Je travaillais le

matin, je sortais du cabinet à 14h30 et, à 15h30, je devais être à la salle. Mes résultats sportifs baissaient mais je ne pouvais pas faire autrement. Beaucoup de sportifs sont dans ce cas. Moi, j’ai eu la chance, à un moment donné, d’avoir le soutien de la Française des Jeux qui m’a intégré dans sa team. L’année où j’ai arrêté de travailler en tant que kiné, j’ai obtenu ma médaille mondiale (en 2019). Kiné, c’est un très beau métier que je vais reprendre quand je terminerai ma carrière. Ouvrir une belle structure de soins est un de mes plus grands rêves. Aider les sportifs à préparer une échéance, aider les gens d’ici aussi. "Je suis reconnaissant pour tout ce que la Ville d’Antibes et la Région m’ont apporté et j’ai envie de le rendre aux Azuréens".

bottom of page