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Vendée Globe : la chevauchée fantastique de Yoann Richomme

Photo : Polaryse Eloi Stichelbaut
Photo : Polaryse Eloi Stichelbaut

Changement de décor. Du bleu au blanc. On a rencontré le 2e du dernier Vendée Globe au pied des pistes enneigées de La Foux d’Allos. Le natif de Fréjus, 41 ans, revient sur son odyssée autour de la Terre sur son pur-sang à voiles.

Son premier Everest des mers. La préparation, la bataille

pour la gagne avec Charlie Dalin, le chenal des Sables d’Olonne… Retour sur une aventure XXL.

 

Par Thierry SUIRE 

Photo : Paprec Arkéa
Photo : Paprec Arkéa

A quoi ça tient la vie ? Un virage in extremis dans une orientation d’études supérieures. Puis la détermination et la passion. Voie royale pour faire de son rêve sa trajectoire. Sa trace comme disent les navigateurs. « J’étais geek à fond, je montais mes ordinateurs moi-même. J’étais inscrit en informatique, à Southampton. Et puis, 48 heures avant de démarrer, je croise une connaissance qui me dit : Viens faire architecture navale avec nous… » Premier coup de gouvernail droit dans les vagues. « Le même copain m’a ensuite motivé en me parlant du Tour de France à la voile. On a monté une équipe, ce qui, finalement, m’a beaucoup plus intéressé que les études ». Le cap est enclenché pour celui qui s’était déjà frotté au grand large avec son père (lire par ailleurs). La naissance d’un destin. Le début d’une longue série de régates menant jusqu’à l’épreuve reine : le Vendée Globe.

À quoi ça tient la course ? Deux jours à peine après son premier départ des Sables d’Olonne, en novembre dernier, le skipper de Paprec-Arkéa croisait à 10 mètres un chalutier espagnol au large du Cap Finisterre sans que ses systèmes d’alerte ne se déclenchent. Une collision évitée d’un cheveu. Et le risque de voir quatre ans de préparation tombés à l’eau.

À quoi ça tient ? À une préparation de course au cordeau. Yoann Richomme est du genre à ne laisser aucune place au hasard. Investi dans toute la chaîne de fabrication de son bateau IMOCA à foils, soucieux de chaque détail. Analysant chaque donnée pour prendre la bonne décision. La passion, l’esprit d’équipe et une minutie d’horloger dans la préparation des courses sont sa recette du succès sur les flots. Un cocktail qui lui a fait jouer la gagne jusqu’au bout lors du dernier Vendée Globe. 2e sur la ligne d’arrivée, à moins de 24 heures du premier.

Un mois après son retour sur terre, on n’a pas le sentiment que le Lorientais vient de passer 65 jours à affronter les flots. Affable, pas avare de son temps, il semble revigoré au soleil d’hiver du Sud. « Je ne savais pas trop quelle forme j’allais avoir en arrivant à La Foux d’Allos. J’avais peur que la récupération dure plus longtemps, d’avoir besoin de 3 mois sans voir personne. C’est une bonne surprise. Je devais être bien préparé. » C’est donc chaussures de ski aux pieds que le navigateur hors-pair rembobine son épopée sur les flots.

 

 

« J’ai l’impression d’avoir régaté 2 jours »

65 jours, 18 heures et 10 minutes. C’est le temps qu’il a fallu à Yoann Richomme pour enjamber le globe.

Photos : Polaryse Eloi Stichelbaut et Yann Riou
Photos : Polaryse Eloi Stichelbaut et Yann Riou

2e de l’épreuve sur la ligne d’arrivée, mais aussi 2e meilleur chrono de l’histoire de la course. 9 jours de mieux que le précédent record. Un Vendée d’exception. Tellement rapide que le skipper de Paprec-Arkéa a eu « l’impression d’avoir régaté 2 jours. Aujourd’hui, je n’ai toujours pas le sentiment d’avoir fait le Vendée. C’est ouf ! »

Son récit de course en cinq temps forts.

 

1. Le chenal des Sables d’Olonne

« Ce qui me faisait le plus peur dans le Vendée, c’était l’émotion du jour du départ. Je suis assez sensible, en fait », souffle le grand gaillard. « Avec ma coach mentale, Emilie Musnier-Thiénot, on avait beaucoup préparé ça. Finalement, c’était génial, j’ai juste pris un gros kiff. Et puis, je suis vite entré dans la course. Dès qu’on a été sur l’eau, je me suis mis en mode régate : choix de voile, positionnement… J’étais prêt. »

« Quant au retour aux Sables d’Olonne, c’est un sentiment d’accomplissement. Dans ce concept de course, j’aime autant -voire plus- la préparation (travailler le design du bateau, la mise au point) que l’événement en lui-même. Ce que j’adore, c’est l’équipe, générer l’envie, l’adhésion, la qualité du travail. Et, à la fin, sur le chenal d’arrivée, c’est l’aboutissement de tout ça. »

 

2. Le début de course, l’Atlantique sud.

« L’Atlantique nord a été très lent. On était déjà en retard sur tous les plannings. Mais l’Atlantique sud, ça a bombardé fort. C’est le scénario pour lequel tu te prépares. Il y a, dès le départ, de petits écarts qui étirent la flotte et qui, une fois dans le Sud, génèrent de très gros écarts parce que tu bénéficies alors du bon système météo. L’Atlantique sud, c’est

8 jours pleine balle avec des records qui tombent les uns après les autres. T’es clairement le passager de ton bateau, toujours allongé… ça secoue beaucoup ! Mais c’est décisif, je savais qu’il ne fallait pas lâcher. Je rentre dans les mers du sud dans le trio de tête. C’est cool parce que j’ai vraiment un bateau calibré pour le Sud. »

3. Les mers du Sud.

« Si on avait eu des conditions de mer dures dans le Sud, j’aurais pris le large. Mon bateau allait plus vite. Mais on a eu une seule tempête. Une tempête dans laquelle, les deux autres, Charlie Dalin et Sébastien Simon, me distancent en prenant de gros risques. Comme je n’avais jamais mis les pieds dans cette zone-là, je ne me suis pas senti d’y aller. Je suis passé au nord, une mer pas dangereuse mais avec beaucoup de vagues. Je ressors avec 550 milles de retard. »

4. La remontada.

« A la sortie de cet épisode, j’appuie vraiment sur l’accélérateur. On est à la fin de l’Océan Indien, au sud de l’Australie. Je mets beaucoup de toiles. Quand je sors de la dépression, j’ai 40 milles d’avance sur mon premier poursuivant, Thomas Ruyant, et quand je passe sous la Tasmanie, les 40 milles se sont transformés en 200 milles. Cette petite différence me permet d’enchaîner les zones de vent, des systèmes météo favorables qui me propulsent vers l’avant. En Nouvelle Zélande, j’ai 800 milles d’avance sur lui. Et je suis de retour avec le groupe de devant. Dans le même temps, Sébastien Simon casse un foil. Ça devient compliqué pour lui. Commence alors le mano-a-mano avec Charlie Dalin. »

5. Le cap Horn et la remontée finale.

« Le Horn, Charlie et moi, on le franchit avec 9 minutes d’écart. C’était génial. Ma trajectoire m’amène à raser le cap Horn, il faisait beau ce jour-là. Juste avant, j’avais eu quelques mouvements de voiles, puis je jette un œil à l’écran, je regarde les distances. La côte est à 25 milles. Je me dis, c’est quand même des montagnes… Je tourne la tête, il est là : c’est magique. Un beau moment. J’étais allé au cap deux ans avant en balade et j’avais ressenti le côté viril de l’endroit. Il fait froid, le vent est très lourd. La nature est dure, t’es pas le bienvenu !

Charlie apparaît juste derrière. On attaque la remontée côte à côte. On passe d’une mer très formée à une mer plate de l’autre côté. Le vent est plus léger, le bateau repart en volant. Sur la remontée de l’Atlantique, près du Brésil, je me fais coincer dans un système nuageux. Charlie le contourne à 10 milles (18 km). Il a un bateau plus performant pour la suite. Je n’ai alors quasiment plus d’opportunité de revenir. Il y a forcément de la déception. Mais j’étais complètement dans mes objectifs. Je me suis concentré sur le fait de ne pas gâcher cette belle histoire. J’étais fier de ce qu’on ramenait. Et je sais que le projet va continuer. »


La vie à bord
Photo : Polaryse Yann Riou
Photo : Polaryse Yann Riou

« On passe beaucoup de temps assis et beaucoup de temps allongé. Tu ne peux pas être debout. » Tu peux faire 10 minutes debout mais c’est comme dans le métro, ça secoue. L’extérieur, c’est moins de 1% de ton temps. Tu sors si tu as besoin de vérifier quelque chose, de réparer ou de changer une voile. Le bateau, il vole dès qu’il y a 15 nœuds de vent (30 km/h). C’est de la voile complètement différente de ce qu’on a connu avant.

On est connecté en permanence, par obligation, pour des questions de sécurité mais aussi pour récupérer la météo. Le matin, par WhatsApp, on fait un point avec l’équipe. On échange aussi avec la famille. Il faut savoir rythmer les journées : envoyer du contenu médias, des photos, des vidéos… ça prend un peu de temps, tenter de ne pas être trop répétitif. Les repas, je les plaçais sur un rythme de terrien, parce que sinon ça peut vite déraper.

Enfin, il y a les phases de sommeil. J’ai trouvé difficile de dormir le jour. Mon cockpit est très vitré, il y a des mouvements perma­nents. Au-delà de 1 h 30, ton corps se réveille. Pendant que tu dors, tu mets tout sur alarme. Si le vent augmente trop, ça sonne ; si le bateau ralentit trop, ça sonne. Il y a une surveillance permanente. J’ai dû dormir entre 3 et 6 heures par 24 heures. Il y a peut-être eu une journée à 8 ou 9 heures, quand tu es occis complet. Et des journées à 0 heure, notamment en début de course. Tout l’art est de jouer dans une zone semi-rouge, où tu ne tombes pas dans les hallucinations, où tu restes lucide. Ça, c’est ce qu’on apprend au Figaro avec des dettes de sommeil importantes. »

 

LE CHIFFRE

17 nœuds de moyenne

(soit plus de 33 km/h)

sur l’ensemble de la course.


La phrase

« Finalement, l’équation de la performance, c’est la gestion du bateau et de soi-même dans la durée. »

 

La grande fiabilité de Paprec-Arkéa

Photo Gautier Lebec
Photo Gautier Lebec

C’est, peut-être, sa plus grande satisfaction du Vendée Globe. Durant ces

65 jours en mer, Paprec-Arkéa, son IMOCA de 18,28m sur 5,5m, a tenu : « Je n’ai pratiquement pas eu de réparation à faire. C’est un super résultat pour l’équipe », constatait Yoann Richomme à l’arrivée. Il faut dire que, depuis la mise à l’eau du bateau en mars 2023, le skipper lui a infligé un gros programme de fiabilisation. « L’objectif, d’entrée, c’était de le mettre à l’épreuve. De trouver ses faiblesses. Et, dès les premières navigations, on revient avec de la casse, que ce soit lors de Rolex Fastnet Race ou la Transat Jacques Vabre. A chaque fois, notre compréhension augmente. »

Tout l’art du pilotage tient justement dans cette capacité à pousser la machine sans dépasser la limite. « Ce sont des bateaux incroyables mais qui ont quand même une certaine fragilité : on n’a pas construit un char allemand. Ça demande de suivre techniquement ton bateau, de le comprendre, de l’écouter. On a une base de données avec tous les chiffres enregistrés par les capteurs du bateau, mais, on est aussi la base de données du bateau. C’est à nous de guider les choix, de savoir si on doit alléger le bateau, développer de nouveaux foils, dessiner de nouvelles voiles… Tu sers de juge de paix dans les prises de risque ». Tout un travail en amont dans lequel Yoann s’épanouit. « Il faut être câblé ingénieur, un peu geek, aimer tous ces sujets. Et tant mieux pour moi, parce que ça me va bien. »

 

La jolie trace d’un skipper d’exception

 

La voile en héritage. La passion pour les vagues dans ses veines. C’est le grand-père qui a embarqué la lignée sur les flots.

Photo : Polaryse Julien Champolion
Photo : Polaryse Julien Champolion

Une petite graine. Qui ne demandait qu’à croître. Génération après génération. « On naviguait tous les étés. Mon père a été le premier à faire un peu de régates. Je l’ai suivi quand j’étais jeune sur des bateaux accompagnateurs », se rappelle Yoann. Et quand tout le monde part vivre aux Etats-Unis, c’est tout naturellement que les Richomme s’y rendent à bord de l’embarcation familiale. « On a traversé l’Atlantique sur notre petit bateau de 30 pieds (10 mètres) avec deux escales aux Bermudes et aux Açores ».

Au moment de s’orienter après le bac, le jeune homme ne coche que des destinations près de la mer. Il a ses priorités ! En parallèle de ses études d’architecture navale, il enchaîne quatre participations au Tour de France à la voile. Et entre dans le vif du métier : « il a fallu monter l’équipe, trouver les fonds, louer le bateau ». Et larguer les amarres… sans véritable expérience : « Dieppe-Cherbourg, on allait tout droit, pas d’option météo, pas de prise en compte du courant… On arrivait à l’escale, les autres étaient déjà là. Cette expérience a été hyper formatrice, j’ai appris à gérer une équipe d’une quinzaine de personnes ».

L’adrénaline de la compét’ le gagne…

Le cap est mis. Dès sa sortie de l’école, il se lance dans la préparation de bateaux de course. Yoann a trouvé sa voie. Toute la dimension technique de ce monde le passionne. Il s’y consacre à plein. Préparer les bateaux des autres, c’est bien, mais l’appel du large le guette. « A un moment, je me dis : j’ai envie de le faire… un jour. » On est en 2007. Yoann veut passer de l’autre côté du chantier. Devenir navigant. Les années qui suivent, il cumule les jobs : « Je vends des voiles, je fais de la prépa, du coaching, du conseil météo. Je naviguais aussi, pour apprendre, mais sans être trop payé ».

En 2010, il se lance enfin grâce au coup de pouce financier de son oncle. « Je m’inscris à la Solitaire du Figaro et ça s’est tout de suite bien passé : je fais 6e de la première étape. Je suis direct dans le coup alors que je n’avais jamais vraiment barré un bateau, j’étais plutôt équipier. » Encouragé par ce baptême des flots, l’amoureux de la mer achète son bateau et poursuit l’aventure seul pendant 4 ans. Déterminé comme jamais, il avance dans le métier pas à pas. Vague après vague. En 2013, il intègre la sélection Macif (un programme d’accompagnement de skippers d’une durée de 3 ans). Devient professionnel.

En 2016, Yoann remporte sa première Solitaire du Figaro, d’une proue de bateau, devançant de seulement 5 minutes un autre skipper Macif : Charlie Dalin. Déjà. Une victoire importante aux yeux du navigateur. « La Solitaire, c’est l’école de la rigueur ». Une école dans laquelle le navigateur va apprendre pendant 8 ans.

En parallèle, en 2011, 2013, 2017 et 2019, il participe aux transats Jacques Vabre, notamment avec Damien Seguin, athlète paralympique. « De janvier à novembre, j’avais seulement un mois et demi de repos. J’ai appris à me gérer sur le plan sportif, financier, personnel… ». Un investissement total. Qui porte ses fruits : il décroche deux Routes du Rhum consécutives (2018, 2022) en Class40. Accroche à nouveau son nom en haut du palmarès de la Solitaire (2019) devant les têtes d’affiche du milieu (Desjoyeux, Le Cléac’h, Loïck Peyron).

Yoann s’est fait un nom. Les opportunités sont là. Les partenariats avec le groupe Paprec et la banque Arkéa lancent son projet IMOCA, ces bateaux considérés comme les Formule 1 des monocoques. Il met la main à chaque étape de la fabrication, fidèle à son histoire, à sa passion. Il s’impose à la maison dès la première mise à l’eau de son nouveau bateau « Paprec-Arkéa » pour la course Retour à La Base (Fort-de-France – Lorient). On est en 2023. Le skipper prend date pour le Vendée Globe. En novembre 2024, c’est un bizuth plein d’ambition qui s’aligne au départ de l’Everest des mers.


« La Solitaire du Figaro, c’est le Clairefontaine de la voile »

« La Solitaire du Figaro, c’est la meilleure jauge de la qualité des skippers parce qu’on a tous le même bateau. C’est la base, le baccalauréat de la voile. D’ailleurs, le top 10 de ce Vendée Globe, ce sont quasiment que des figaristes. C’est un genre de Clairefontaine

de la voile. »

 

Au programme de 2025

Yoann Richomme se lancera cet été dans un Tour d’Europe en équipage. Avant La Transat Café L'Or , une traversée de l’Atlantique en double fin octobre.


Famille

Marié à une Niçoise, Yoann Richomme a ses habitudes dans

le Sud pour ses vacances. En hiver, il skie à La Foux d’Allos. L’été,

il se retire près de Castellane. Il est père de deux filles de 4 et 7 ans.

 

Palmarès

> 2 fois vainqueur de la Solitaire

du Figaro (2016 et 2019)

> 2 fois vainqueur de la Route du Rhum en Class40 (2018 et 2022)

> 2e sur la Rolex Fastnet Race (2023)         

> 2e Transat Jacques Vabre

avec Yann Eliès (2023)

> 1er de la course

du Retour à la Base (2023)

> 1er The Transat CIC (2024)

> 2e du Vendée Globe 2024.


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