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Julie Gautier, ballerine subaquatique

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  • 5 juil.
  • 6 min de lecture

Apnéiste, danseuse, réalisatrice… À travers toutes ses activités, Julie Gautier veut transmettre son message. Aussi profond que ses descentes dans les abysses. En y mêlant esthétisme et sensibilité.


Par Sébastien Noir

Photos : Fonds personnel Julie Gautier 

Nous sommes en 2010. Okinawa. Le Japon accueille les championnats du monde d’apnée. Les équipes de France masculine et féminine sont présentes et nourrissent de gros espoirs. Pourtant, ça saute aux yeux sur les photos avant la compétition. Julie Gautier a beau afficher un sourire de circonstance, son regard vagabonde. Au pays du Soleil Levant, Julie sait déjà qu’elle est au crépuscule de sa carrière. La double recordwoman de France en poids constant (-65 m puis -68 m) faisait pourtant partie des favorites avec les Bleues.

Mais l’apnéiste étouffe. Elle a besoin d’un souffle nouveau. De donner une autre aspiration à sa vie composée de records. De l’optimisation de la performance. L’ex-compagne du multiple recordman Guillaume Néry avoue aujourd’hui : « Notre vie était axée sur l’apnée. Sur la recherche de records. L’accomplissement à travers les prouesses. Les exploits. On devait se battre contre nous-mêmes. Contre la mer. Tout devait être équilibré grâce à une hygiène de vie irréprochable, une osmose dans sa tête et dans son corps ». Toutefois, la tête se lasse. Le corps s’épuise. « J’ai changé de monopalme. J’ai suivi une préparation personnalisée pour les Mondiaux. Mais j’y allais à reculons. Trop de performance, trop de résultats, trop d’eau… Je perdais pied. Et je sentais bien que quelque chose me manquait », se souvient Julie, avec de l’émotion encore plein la voix.

Pire, elle subit trois syncopes lors de ses apnées. Trois sambas, comme on l’appelle dans ce milieu. Alors, elle comprend. Elle prend conscience qu’il est temps de changer de danse. De rythme…


« J’ai pris conscience des choses : j’ai recommencé à être moi-même »

De l’apnée à la danse, il y a pourtant encore un pas. Un pas de deux. Encore et toujours. Avec Guillaume Néry. « On a fait Free Fall (elle filme Guillaume Néry sautant dans le Dean's Blue Hole, à 202 mètres de profondeur aux Bahamas). Guillaume m’a confié une caméra. Dès qu’on a posté le film, ce fut un succès ».

Voilà, Julie a enfin son nom au générique. Pour un premier rôle. Forcément, son œil artistique attire les regards. Elle n’échappe pas à celui de Grégory Colbert, metteur en scène et photographe de renom, auteur de « Ashes and Snow », exposition artistique la plus vue de tous les temps. Julie rembobine : « Il cherchait un modèle, apnéiste, d’origine asiatique, une danseuse et qui n’a pas peur des animaux ». Pas besoin de casting, Julie Gautier est toute désignée. Ses ballets nautiques, ses danses animales, presque sauvages, resteront gravées dans les mémoires. Et dans la sienne, évidemment : « Les expéditions à travers la planète m’ont reconnectée avec le monde artistique. Avec la danse. Tout cela additionné à la mise en scène de Grégory Colbert, il y avait beaucoup de grâce. D’apesanteur. De lenteur… J’ai pris conscience des choses : j’ai recommencé à être moi-même ».

 Bien sûr, Julie continue à filmer Guillaume. Ses tournages. Son œil s’aiguise. Encore et encore. On salue sa créativité. Son style. Elle met en images les hallucinations de Guillaume Néry dans « Narcose ». Le talent éclabousse la caméra et les spectateurs qui ont l’impression de vivre ces immersions dans leurs sentiments les plus profonds. Jacques Ballard (l’un des plus grands réalisateurs de la planète) à ses côtés, les stars font appel à ses compétences. « J’ai fait un clip pour Arrow Benjamin et Naughty Boy, « Runnin » (quelque 450 millions de vues). Beyoncé nous a rejoints deux semaines avant la sortie. Elle voulait travailler sur ce projet ». Zazie et bien d’autres suivront…

 

AMA, le chef-d’œuvre intime

Le succès est là. Il vient récompenser cette vie née d’un souffle nouveau. La résurrection d’une apnéiste au fond de l’abysse qui cherche à remonter à la surface pour se trouver un autre horizon. Alors, Julie a pris conscience que le chemin n’est pas encore terminé. Qu’il lui faut une autre quête. Un autre récit à boucler. Elle a beau écrire, la dernière page reste désespérément blanche. Elle a besoin d’une respiration supplémentaire. D’un idéal à revendiquer. Hélas, il viendra d’un drame familial. Une douleur incommensurable qui vous broie les tripes et vous brise le cœur. « J’écrivais, mais je sentais qu’il manquait un truc, une thématique forte. Ça n’allait jamais… Face à ce drame et quand on a réussi à faire le deuil, un an plus tard, dédier ce film à ma souffrance, mais aussi à ma résilience était une évidence. Je voulais offrir ce film comme témoin de mon histoire ».

Pour cela, elle cède à sa dernière réticence : apparaître à l’écran, ce dont elle ne voulait pas entendre parler jusque-là. Mais personne à part Julie ne peut transmettre un message si personnel. Et dont le résultat doit être absolument parfait !

Un long travail débute. « Aux côtés d’Ophélie Longuet (tragiquement disparue en 2018, NDLR), ma chorégraphe. Elle est parvenue à traduire ces émotions en gestes. Elle m’a aidée à dessiner, à écrire les mots. Simples. Pudiques. Clairs. Pour une émotion intense… »

Des mots enrobés de beauté. De symbole. Elle use de la métaphore pour transmettre plus d’émotion. De sensibilité.

Le décor est planté : elle plonge dans le Y-40, piscine la plus profonde du monde, à Montegrotto Terme, en Italie. Elle touche le fond, comme elle l’avait fait quelques mois auparavant. Pour y parvenir, elle porte une sorte de corset, d’un kilo de plomb, spécialement confectionné pour l’occasion, qui vient s’ajouter au poids de son fardeau. De sa confession. La froideur de l’eau, glaciale, réchauffe pourtant son corps. Qu’elle laisse enfin libre de ses mouvements. De ses contraintes. De tout ce qu’elle a vécu. Julie hurle dans le monde du silence.

« AMA m’a donné une voix », lance-t-elle toujours au bord des larmes.

AMA, le nom des femmes pêcheuses au Japon, qui plongent en profondeur pour récupérer les coquillages. Encore un symbole. Mais AMA est surtout une véritable perle. Un ballet nautique. Esthétique. Un solo intime et intimiste. Une prestation de huit minutes teintée de douceur pour un message terrible et violent. Une douleur immergée, enfin émergée. « Pour qu'elle ne soit pas trop crue je l'ai enrobée de grâce. Pour qu'elle ne soit pas trop lourde je l'ai plongée dans l'eau », expliquait Julie Gautier avant la diffusion, le 8 mars 2018, Journée des Droits des Femmes.

« Il fait du bien aux femmes, il a été fait par et pour les femmes mais sans exclure les hommes. Il n’a pas vocation à être féministe », précise-t-elle.

Voilà, à chacun de lire entre les lignes de ce scénario ficelé pour exorciser cette souffrance, sans jamais la nommer. À chacun de lui donner le sien. « C’est important de ne pas trop en dire. C’est pour ça que je n’ai jamais raconté mon histoire. La petite phrase de la fin en dit suffisamment. Beaucoup n’ont pas fait la connexion. Et c’est très bien comme ça. J’ai fait ce film pour moi mais mon but était avant tout de partager ». L’adieu aux larmes…

 

« Conteuse sous-marine »

Mais comment retrouver un grand sourire ? La respiration de l’apnéiste doit poursuivre sa transformation en inspiration de la réalisatrice ? Mais comment y parvenir quand on a donné autant de son intimité dans AMA ? Comment laisser une empreinte indélébile dans l’eau quand on y a déjà abandonné son ADN ?

Il lui faut retrouver un combat. Mener une lutte face à ceux qui menacent notre planète.

La ballerine aquatique doit se muer en sirène. Celle qui alerte sur les dangers qui menacent nos océans. Julie, qui se décrit comme une « conteuse sous-marine » amène son témoi-gnage et narre une histoire dans laquelle un monstre fait de plastique apparaît dans les profondeurs. « Bakelite », produit par Marion Cotillard et Cyril Dion, est tourné à Nice. « De nombreuses personnes sont venues me voir après AMA pour me dire que le film avait changé leur vie. J’ai pris conscience de la portée des images et de leur capacité à modifier certaines choses. J’ai voyagé et vu des mers polluées comme à Mayotte, aux Philippines… Mon rôle est de toucher les gens, de sensibiliser, d’éduquer les enfants. Qu’ils veuillent ensuite passer à l’action. J'ai envie de protéger et de faire aimer ce milieu aquatique, avec lequel je suis en symbiose. Je me vois comme un outil au service de cette cause ».

Une mère danseuse, un père vétérinaire… & chasseur sous-marin

« Je ne voulais plus utiliser l’eau comme une fin en soi mais comme un moyen. Et reconnecter mon corps à la sensualité de l’eau, comme quand j’étais petite ».

 

Une enfance heureuse à Saint-Louis, à La Réunion, où elle voit le jour le 19 novembre 1979. Et qu’elle passe le plus souvent possible aux côtés de sa mère, danseuse, qui l’aide à faire ses premiers pas, dans les deux sens du terme, et son père, vétérinaire et chasseur de poissons apnéiste.

Passion du milieu marin et amour et respect des animaux, dès ses 11 ans, la transmission s’opère autant que la magie : « C’était la meilleure façon de passer le plus de temps possible avec lui », sourit Julie.

Et puis, un jour, deux recordmen d’apnée viennent plonger dans un club de Saint-Louis. Elle devient très vite une des meilleures spécialistes de la discipline. À tel point qu’elle représente La Réunion aux championnats du monde d’apnée à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Elle découvre alors la Côte d’Azur et Guillaume Néry. Deux véritables coups de foudre… 


Un long- métrage et une fédération de danse sous l’eau

Julie Gautier avoue espérer assouvir encore deux quêtes. Deux rêves

à transformer en réalité. Tout d’abord, elle souhaite réaliser un long-métrage « au service d’une vraie histoire. Et pourquoi pas sur terre ?

Bon, j’ai encore un peu peur », glisse-t-elle dans un sourire pudique.

Ensuite, l’ex-apnéiste a remarqué « pendant la crise du Covid, beaucoup sont appropriés la danse sous l’eau, en plein essor. Alors, oui, je veux lancer ma discipline. Une académie.

Avec ses codes. Sa transmission par l’enseignement. Pour que tous

les pratiquants se retrouvent au sein  d’un lieu comme l’Opéra de Paris pour les danseurs. Et, pourquoi pas, mettre sur pied une véritable fédération ».

 
 
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