Voiles d’Antibes : la trentaine rugissante
- contact514457
- 5 juil.
- 5 min de lecture
Faire d’une foucade de comptoir un rendez-vous international du yachting traditionnel. C’est l’histoire incroyable des Voiles d’Antibes. Trois décennies de passion et de fête racontées par les pionniers Thierry Piel, son président, et Yann Joannon, son directeur.
Par Thierry SUIRE

Le Festival de Cannes a remisé son tapis rouge, la Formule 1 a déserté les rues monégasques et le soleil a durablement posé ses valises sur la Côte d’Azur. C’est le moment où de hauts mâts élégants percent derrière les remparts antibois. Calendrier immuable. Ici, depuis trente ans, le bleu et le blanc se marient harmonieusement.
30 ans de yachting d’époque (bateaux d’avant 1950) et classique (avant 1976). 30 ans de passion, de fête. 30 ans de Voiles d’Antibes. Un rendez-vous incontournable qui ne devait durer que le temps d’un bain de soleil...
L’histoire d’une idée folle qui, à l’instar d’Ulysse, a fait un beau voyage. Une histoire d’amitié et d’insouciance née au bar Le Latino, QG des marins.
Octobre 1995. La dernière Nioulargue (l’ancêtre des Voiles de Saint-Tropez) vient de clôturer la saison des régates en Méditerranée, laissant les navigateurs orphelins de leur passion. Un chagrin noyé dans « beaucoup de rhum et de bières », rembobinent, grands sourires, les pionniers. Et une idée lancée à la cantonade, comme on largue les amarres. « Une régate, ici… », dans ce port d’azur où nombre de bateaux trouvent refuge durant la saison creuse.
Thierry Piel, patron du Latino et Frank Covat, capitaine de bateau, assument la paternité du bébé. Au réveil, gueule de bois passée, l’enthousiasme n’est pas redescendu.
Très vite, on active les réseaux. Comme sur un bateau, on trouve des équipiers, chacun à sa place. Yann Joannon, qui dirige une agence de com’ dans le quartier, est mis dans la boucle. Puis, « passe devant nous, Maurice, le patron de L’Ancre de Chine, le restaurant voisin », raconte Thierry Piel. « Je lance : un Chinois, avec son boulier, ça sait compter. Tu seras notre trésorier. Il a dit : d’accord. Et puis, Frank, tu seras président parce que t’es beau gosse… Ça s’est fait comme ça ! » L’adjoint au Tourisme de la Ville, Jacques Grima, est partant. Il les encourage et embarque le nouveau maire, Jean Leonetti, dans l’aventure.
1996, la première édition est déjà sur les flots. « Tous les copains marins sont venus, dont des grandes stars comme Alain Gabet. Le voilier du prince Albert II de Monaco, Tuiga, est aussi présent. On a rameuté quinze bateaux et réussi une superbe fête sur le port Vauban, une belle sardinade. L’ambiance a tout de suite été là », décrypte Yann Joannon. « Voilà, pour nous, c’était fini. Mais, quand, 3 mois plus tard, la mairie nous a rappelés pour nous demander nos dates pour l’année suivante, on s’est revu. On s’est dit : on repart pour une deuxième. Puis une troisième édition. À partir de là, on s’est structuré. Il le fallait. On avait des documents partout : des archives dans la cave de Thierry avec les cartons de vin et de bière. La comptabilité mélangée avec les sacs de riz… »

La 4e année, Brice Humbert, qui travaillait pour un partenaire, « a trouvé l’ambiance sympa ». Il est naturellement venu compléter l’équipage des piliers des Voiles. C’est une histoire de copains qui a grandi au gré du vent de l’économie et du yachting. Qui a su s’adapter au monde qui change. « Généralement, une semaine avant de débuter la manifestation, on se dit tous : c’est la dernière », sourit Yann. « Et puis, quand tout commence à se monter, qu’on revoit les copains… on oublie tout ! »
Le rendez-vous trouve sa place dans le calendrier du yachting traditionnel au début du mois de juin. Avec une marque de fabrique : assurer l’ambiance après la course. « La journée, il y a les régates, et puis, le soir, c’est la fête des Antibois », explique l’inséparable duo. Parce que l’événement, c’est aussi un Festival de musique, de la danse, des verres qui s’entrechoquent. Un moment attendu. D’autant que, pour les 30 ans, l’événement a retrouvé le Bastion Saint-Jaume, au cœur de la cité, après 3 ans de travaux. Tout était réuni pour une édition d’exception. « Le bastion, c’est notre écrin », s’illumine Yann. Un port d’attache qui mêle Histoire et mer, en parfaite résonnance avec les voiliers traditionnels.
Une journée au cœur des Voiles

Le directeur des Voiles d’Antibes déroule une journée type au cœur de l’événement. « Le village se lève dès 7h30. Les bateaux se préparent pour la course. A 9h, le comité de course organise un briefing pour tous les capitaines sur le parcours et les consignes de sécurité. On charge les voiles en fonction, on allège les bateaux… ou pas. Vers 10h30, les voiliers sortent avec l’aide de l’assistance portuaire, car ce sont des vieilles dames. Le départ de la course est donné pour les différentes catégories (7 classes). Pour le public, que l’on soit sur les remparts, du côté du cap d’Antibes ou sur les plages, on voit les 60 à 70 cathédrales de voiles qui voguent au large. Les régates se terminent vers 16h30.

Le public afflue alors au village des Voiles. Là, il y a les buvettes, les animations musicales dans un joyeux mélange entre marins et Antibois. Des bateaux organisent des cocktails, d’autres présentent des diaporamas, des films… C’est un moment de partage. Et puis, se déroule le Festival de musique avec des groupes de rock, des musiques des années 80… »
Coups de cœur des fondateurs

30 ans dans le rétro. Et quelques moments inscrits durablement sur
la rétine des organisateurs. Interrogés sur leurs coups de cœurs, ils ressuscitent notamment la période faste du Trophée Panerai qui a dynamisé le yachting classique dans les années 2010, un élan dont a bénéficié l’événement antibois. Yann, le directeur de l’événement garde également en mémoire ce dimanche de 2009 quand, alors que le vent soufflait à 30 nœuds, « Moonbeam 3 et Moonbeam 4 ont offert un spectacle magnifique dans un match race (duel) de légende ». Thierry, le président, retient, lui, pour l’émotion, la 20e édition : « elle était belle avec un feu d’artifice incroyable et un record de participation : 80 bateaux inscrits. C’était la régate parfaite ». Quant à son bateau coup de cœur, le président vote pour Tuiga, « si beau, si racé ».
_____________________________________________
La belle Serenade du guitariste des Who
Rencontre avec Charlotte Franquet, skippeuse de Serenade,
voilier amarré à l’année au port d’Antibes et propriété de Pete Townshend, légendaire guitariste du groupe The Who.

C’est son « Magic Bus » à lui. Son fantasme de liberté qui, sur les flots, l’entraîne dans un autre trip. À bord de ses voiliers, Pete Townshend connaît la musique. Le guitariste est un inconditionnel du yachting.
Depuis 20 ans, Charlotte Franquet barre pour son célèbre patron, figure historique de la musique britannique. « C’est un vrai amoureux des bateaux. J’ai d’abord navigué avec lui sur Zephir, puis, à partir de 2013 sur Éva, un cotre aurique de 1906. En 2021, Pete a racheté Serenade, un sloop bermudien de 19 mètres, construit en 1938. » Un bateau qui possède une riche histoire liée au monde artistique. C’est un des violonistes les plus célèbres du XXe siècle, « Jascha Heifetz, qui, le premier, en fait l’acquisition », conte la navigatrice. Croisant sur la côte ouest des États-Unis, il embarque à son bord des célébrités comme Lauren Bacall, Humphrey Bogart. Par la suite, le bateau a notamment appartenu au fils du commandant Cousteau, puis au marchand d’art, Alain Moatti. « C’est un bateau qui, au départ, a été construit pour la Trans-Pacifique (San Francisco-Honolulu), c’est un bateau de haute-mer, pas toujours adapté à la régate en Méditerranée », poursuit la navigatrice. « Il respire un côté ouest-américain que j’aime bien », ajoute Charlotte Franquet.
Quant au guitariste des Who, « il a toujours pris soin de ses bateaux, il les restaure, c’est très agréable ». Pete Townshend, 80 ans aujourd’hui, tient sa passion de la navigation de son père. Une passion qui ne l’a jamais quitté. Il régate régulièrement sur Serenade et a participé à plusieurs éditions des Voiles d’Antibes. « Il apprécie l’ambiance des classiques et aime retrouver son équipage. Il prend des nouvelles de chacun. Il m’a toujours dit : ce qui me fait plaisir, c’est d’être sur l’eau et voir les autres bateaux autour ». Une véritable bouffée d’air pour le célèbre guitariste, qui, même en mer, garde toujours un œil sur son art, ne serait-ce qu’en hissant, sur Serenade, sa grande voile bleue imprimée de grandes notes de musique.