Sportifs de haut niveau : leurs causeries pour la paix
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- 5 juil.
- 10 min de lecture
Ambassadeurs de la paix. C’est sur un terrain inattendu
que l’on retrouve des sportifs de renom. Avec l’organisation internationale, basée à Monaco, Peace and Sport, on est parti
à leur rencontre pour écouter leur message.
Par THIERRY SUIRE
Photos : Peace and Sport

Si le monde est de plus en plus saisi par les bruits de bottes et le fracas assourdissant des bombes, les crampons et autres équipements
sportifs n’ont jamais autant servi la tolérance, l’acceptation des autres et finalement la paix. L’incarnation de cet engagement porte un nom : Peace and Sport. Une association monégasque qui fédère, qui impulse, qui galvanise. On s’est glissé dans le vestiaire de cette petite fabrique de « casques bleus » et on a tendu le micro à plusieurs « engagés ». Des engagés de la paix qui sillonnent le monde dans le but de le rendre plus juste, moins cruel. Avec pour seul trophée de réconcilier les peuples en s’appuyant sur les valeurs du sport. De mettre hors jeu la haine. Parce qu’à l’instar des intellectuels, les sportifs ont aussi un rôle à jouer pour la diffusion de ces messages de tolérance. Leur aura, dans leur domaine, leur octroie une écoute incroyable. Une écoute enviée. S’ils ne se prennent pas pour d’autres, ils estiment que leur place peut, aussi, être sur le terrain des idées. Sans bruit médiatique, sans intérêt personnel, ils mouillent le maillot pour de petites rencontres qui font les grandes victoires.
On a voulu raconter leur double vie : sur le terrain de sport comme sur celui de l’engagement volontaire pour un monde meilleur. Ils s’appellent Didier Drogba (lire par ailleurs sur le site ou sur le magazine en ligne), Marlène Nidecker, Paula Radcliffe, Vénuste Niyongabo ou Florent Piétrus. Ils sont athlètes, basketteur, footballeur ou taekwondoïste. Tous membres du collectif Peace and Sport.
Plaidoyers de Champions de la Paix.
Marlène Nidecker, championne d’Europe et médaillée olympique de taekwondo
« Le sport lève les barrières culturelles, sociales, religieuses »
Aussi convaincante sur une aire de combat qu’à la tribune de l’ONU, la Franco-Canadienne, Marlène Nidecker, est un pilier de l’association Peace and Sport. Ambassadrice du club des Champions de la Paix, elle assure le lien avec la centaine d’autres sportifs engagés. En 2015, elle crée à Abidjan la Fondation Heart Angel pour soutenir la jeunesse africaine dans ses aspirations sportives. Ses engagements lui ont valu d’être décorée par l’Association internationale des Soldats de la Paix au Festival de Cannes 2018. Elle retrace son parcours sportif et son engagement pour un monde meilleur.

« J’ai commencé le taekwondo à l’âge de 4 ans avec ma sœur. J’ai très vite accroché avec ce sport, avec sa dynamique, son ambiance. Aujourd’hui encore, quand je rentre dans un club de taekwondo partout dans le monde, je retrouve le même état d’esprit. On est une grande famille. Les arts martiaux forment à la résilience, à une confiance en soi, à un leadership. Il y a la recherche de l’excellence, le dépassement de soi, la ponctualité… Ces codes me servent dans ma vie de tous les jours. C’est aussi un sport basé sur le respect de l’autre et la solidarité. Les modèles autour de moi ont été une grande source d’inspiration. Je pense notamment à Pascal Gentil (double médaillé de bronze olympique en 2000 et 2004), pas seulement pour le champion qu’il était, mais aussi pour sa générosité, son engagement social et ses valeurs. Pendant ma carrière, j’effectuais des visites en milieu hospitalier avec l’association Un maillot pour la vie. Et, quand j’ai eu ma médaille olympique, j’ai eu l’opportunité de partir en Afrique de l’Ouest. Je devais y rester 2-3 semaines pour faire des stages dans les régions reculées et offrir du matériel. Dans un club de la banlieue d’Abidjan, je rencontre deux jeunes et je suis frappée par leur talent et leur courage. Ils s’entraînaient dans des conditions précaires, sans matériel, sans eau potable. J’ai eu envie de les accompagner dans l’aventure olympique. On a créé la Fondation Heart Angel. Je suis restée 3 ans auprès d’eux. Résultat : Cheick Cissé décroche le premier titre de champion olympique pour la Côte d’Ivoire et Ruth Gbagbi est la première femme du pays médaillée olympique. Ils sont devenus des héros. Leur victoire a uni tout le pays. J’ai pris conscience du pouvoir fédérateur du sport au-delà de la performance : changer des vies et donner de l’espoir à toute la jeunesse d’un pays. À ce moment-là, en 2016, je deviens Championne de la Paix pour l’association Peace and Sport.

Avec le sport, il n’y a pas de barrières culturelles ou religieuses. Ruth, Cheick et moi, sur le papier, tout nous sépare : pas la même religion, pas la même culture, pas la même couleur de peau, pas le même milieu. Mais ce qui nous unit, c’est qu’on partage le même quotidien - les entraînements, les compétitions - et le même rêve olympique. Et on a la même éthique, les mêmes codes. Notre lien est finalement extrêmement fort. Au-delà des barrières. Et puis, quand on s’amuse, il n’y a pas d’appréhension de l’autre. Je revois, lors des Jeux de l’amitié de la région des Grands lacs, les jeunesses burundaise, rwandaise et congolaise qui oublient leurs divisions et courent main dans la main dès qu’on sort un ballon. C’est la force du sport. En Inde, dans le cadre du Peace maker project, on a fait jouer au foot des jeunes filles des régions les plus reculées autour de valeurs du sport. Et, à la fin, c’était génial de voir leurs pères et leurs frères venir les encourager et être fiers d’elles. C’était tellement émouvant de les sentir valorisées au sein de leur communauté.
Pour Peace and Sport, il y a aussi tous les plaidoyers pour porter nos idées et présenter nos meilleures pratiques que ce soit lors du Forum international qu’on organise ou devant l’ONU ou l’UNESCO. C’est tellement important de convaincre du rôle que peut jouer le sport dans nos sociétés. Il y a aussi l’accompagnement des Champions de la Paix, créer des synergies entre eux. La force du club des champions, c’est sa diversité. On représente plus de 100 sports et des régions du monde entier. Il y a des profils tellement inspirants. Les autres Champions nous donnent envie d’agir. On se soutient dans nos actions. Cette idée de collectif est importante. On forme une grande chaîne unie vers le même objectif : la paix. Pascal Gentil m’a transmis ses valeurs, je les ai, à mon tour, transmises à Ruth et Cheick et eux-mêmes continuent cette œuvre. C’est ainsi que l’on crée une société plus inclusive, plus juste. »
Vénuste Niyongabo, premier champion olympique burundai sur 5 000 m (1996)
« Le temps de ma finale olympique,
les armes se sont tues »
La générosité dans le sport pourrait être rebaptisée de son nom. Comment imaginer geste plus grand que de céder sa place à un compatriote pour une épreuve olympique pour laquelle on visait l’or ?
Ce sacrifice, Vénuste Niyongabo l’a fait. En 1996, aux Jeux d’Atlanta,
il laisse un autre athlète burundais concourir sur le 1500 m, sa distance fétiche. Qu’à cela ne tienne, c’est sur 5 000 m, que Vénuste remportera l’or devenant le premier champion olympique de l’histoire du Burundi. Au moment même où son pays était en proie à un génocide entre ethnies rivales. Lui refuse ces divisions pour clamer haut et fort défendre les couleurs du Burundi tout entier. Symbole d’union, il n’a de cesse de porter les valeurs de paix par le sport auprès notamment de l’association Peace and Sport.


« Le sport m’a appris qui je suis. J’ai commencé, comme beaucoup, à l’école. J’y ai connu le plaisir d’être le plus rapide de la classe. Le sport permet l’estime de soi. Ensuite, vers 12 ans, j’ai eu des rhumatismes, j’ai été hospitalisé et le médecin m’a dit : Pour que ça ne t’arrive plus, tu dois faire du sport. A 16 ans, je me suis focalisé sur l’athlétisme parce que j’avais des aptitudes.
J’ai compris que le sport réduit l’anxiété de la vie alors que beaucoup de jeunes au Burundi sont vite déscolarisés ou tombent dans l’alcoolisme. On y apprend à gérer la pression, à gagner et à perdre, à oser. On y apprend la ténacité, à ne pas se décourager devant la difficulté. Et puis, il y a le côté social : c’est plus facile de se créer des amis.
A 19 ans, après avoir gagné les championnats du monde juniors à Séoul, je pars m’entraîner en Italie. J’ai tout quitté, mes parents, mes amis, je n’avais pas d’argent pour manger. Je suis parti pour un pays que je ne savais même pas placer sur une carte ! Ce fut une année très difficile. Mais cette année m’a forgé comme personne. On apprend dans la difficulté comme dans les défaites. Au bout de cette année, le sport est devenu mon métier.
Gagner la médaille d’or aux Jeux olympiques d’Atlanta alors que le Burundi connaissait la guerre entre hutus et tutsis a représenté un moment important dans mon itinéraire. On m’a raconté qu’au moment de ma finale, la guerre s’est arrêtée parce que j’appartenais à tout le monde. J’avais seulement 22 ans et j’ai compris que je ne devais pas me mêler à la joute politique. D’ailleurs, on m’a demandé, en interview, si j’avais gagné pour les hutus ou pour les tutsis et j’ai répondu : J’ai gagné pour la nation. C’était spontané. Je ressentais une grande responsabilité. Cette responsabilité, elle me suit : comment rester un modèle pour les générations futures ? Comment être utile ?
Mon engagement auprès de Peace and Sport y contribue. Joël Bouzou est venu me voir pour me dire qu’il aimerait que je rejoigne son organisation. Il m’a dit : ton pays a besoin de toi. À partir de 2009, j’ai été l’ambassadeur des Jeux de l’amitié de la région des Grands Lacs. Ça m’a beaucoup touché de voir les enfants du Burundi, du Congo et du Rwanda qui ne parlaient pas la même langue passer la journée ensemble. Et, avec spontanéité, chaque groupe chantait et dansait dans son dialecte sans esprit de compétition. En voyant ça, je me suis vraiment engagé, j’ai trouvé mon utilité pour la société. Je n’ai jamais loupé cette manifestation depuis cette date. 600 enfants sont suivis toute l’année au Burundi avec nos éducateurs. Ce sont des orphelins, des enfants de la rue, des enfants nés de viols ou vivant en grande précarité. Ils apprennent les valeurs de respect, ils sont sensibilisés aux questions liées à la drogue, à la sexualité... On leur offre une écoute. Avec le sport, on se construit un langage commun, on devient une communauté, une famille. En parallèle de cet engagement, j’ai créé la Fondation Vénuste Niyongabo qui travaille avec le Comité olympique, le ministère des Sports, les structures de santé, les écoles. Le but, c’est de faire du sport un remède pour aider les personnes en difficulté.

A l’occasion des Jeux de l’amitié, j’ai franchi la frontière entre le Burundi et le Congo en pleine guerre entre les deux pays. Et j’ai vu les autorités politiques tenir devant les enfants un message pacificateur. On ressent bien à quel point le sport peut être un pont entre les peuples.
Je l’ai vécu. »
Florent Piétrus, Champion d’Europe de basket et fidèle des Bleus
« Notre carrière légitime notre parole, servons-nous-en ! »

Un ailier devenu pilier. Avec 230 sélections en équipe de France
de Basket, aux côtés des Tony Parker, Boris Diaw ou Nicolas Batum, Florent Piétrus a marqué l’histoire des Bleus par sa longévité, sa combativité et son exemplarité. Champion d’Europe en 2013, médaillé mondial en 2014, il a été pendant 15 ans une figure incontournable du vestiaire tricolore. Retiré des parquets, le Guadeloupéen garde son esprit de gagnant pour servir la paix au sein de l’organisation Peace and Sport.
« Le sport a fait l’homme que je suis. Le basket, c’est lui qui m’a choisi. Une histoire de famille. Mon frère aîné a joué à Pau, Limoges et au Havre. J’ai suivi ses traces. Ce fut une grande aventure. Partir de ma Guadeloupe natale à 15 ans pour le Centre de formation de Pau. J’ai dû grandir plus vite. Cela m’a apporté discipline et détermination, des valeurs que je n’avais pas forcément avant. Je suis convaincu qu’on doit mettre plus de sport dans nos sociétés. C’est une vraie école de la vie. Il transmet des valeurs positives, il apprend l’entraide, la tolérance… Bien sûr, ce fut une chance et une grande fierté de porter les couleurs de l’équipe de France, de ramener des trophées. Mais, de ma carrière, je retiens avant tout le partage avec mes coéquipiers, mes entraîneurs. Le mot équipe veut dire beaucoup pour moi. Plus que les titres et les médailles.

Aujourd’hui, nous sportifs, on a une aura et une carrière qui légitime notre parole. On doit s’en servir, on se doit d’avoir ce retour envers la société. Un mot, un conseil peuvent changer la vie de quelqu’un.
L’association Peace and Sport rassemble toutes les valeurs que je partage. Je suis parti en Colombie animer des ateliers avec des enfants. Le sport apporte joie, partage, sourires… Autour de nos actions de terrain en Afrique ou en Amérique du Sud, j’ai ressenti de l’amour. Partager la même passion, la même envie, c’est la force du sport. C’est important de promouvoir ces valeurs. C’est ce qu’on s’attache à faire avec les autres Champions de la Paix. Je suis admiratif d’eux, de leur résilience. Ils sont inspirants. Être à leurs côtés, dans ce club Peace and Sport, c’est un honneur et une responsabilité. »
Paula Radcliffe, détentrice du record du monde du marathon pendant 16 ans
« S’il y a un moyen d’améliorer le monde, c’est par le sport qu’on y parviendra »

La reine du marathon a posé ses valises à Monaco. Un port d’attache pour la Britannique d’où elle diffuse à la fois sa passion pour la course et son engagement pour la paix aux côtés de l’association Peace and Sport. Paula Radcliffe a marqué l’histoire de l’athlétisme en établissant en 2003 un record du monde retentissant en 2h15’25’’, longtemps jugé inatteignable. Figure incontournable du sport féminin, elle a fait de son endurance un symbole de dépassement. Aujourd’hui, à 51 ans, elle utilise son aura planétaire pour convaincre que les valeurs du sport peuvent rapprocher les peuples. En 2015, elle est ambassadrice du marathon de Beyrouth, un événement au cours duquel elle prononce un discours sur le pouvoir unificateur du sport dans un pays meurtri et divisé.
« J’ai eu la chance de découvrir très jeune mon sport. Initiée par mon père, j’ai tout de suite adoré les sensations procurées par la course. J’avais soif de comprendre comment m’améliorer, comment aller plus vite. Comment me pousser dans mes retranchements, puiser dans mes réserves. C’était aussi le plaisir de courir pour courir. Que ce soit au bord de la mer, dans la forêt… c’est d’ailleurs toujours ce que je recherche tous les jours. L’endurance – 5 km, 10 km ou marathon - m’a procuré un mental pour relever des défis sportifs, pour surmonter la souffrance… Dans ma vie, quelle que soit l’activité, je fais mon maximum, je vais chercher à trouver les moyens de m’améliorer. Je ne suis pas quelqu’un qui laisse tomber. Enfin, le sport nous apprend le respect des autres. Nos adversaires ont travaillé aussi dur que nous, ils visent le même but, suivent les mêmes règles… Ils sont, pour tout ça, respectables.
Mon record du monde, en 2003, c’était un jour très spécial pour moi. D’abord, parce que je l’ai réalisé à Londres, dans mon pays, porté par un public formidable. Ensuite, parce que cette course m’avait beaucoup inspirée : 18 ans plus tôt, en 1985, j’étais dans le public pour encourager mon papa qui participait à cet événement.

Depuis une quinzaine d’années, j’ai rejoint Peace and Sport parce que je suis convaincue que le sport rapproche, que le sport gomme les différences. S’il y a un moyen d’améliorer le monde, c’est en incitant un maximum de personnes à faire du sport. En tant que sportif de haut niveau, notre message touche davantage de personnes. C’est un devoir, pour nous, d’être des ambassadeurs de la paix. Cela passe par des interventions dans les écoles et les collèges pour parler du carton blanc mis en place par l’association (lire par ailleurs), par les Forums au cours desquels on échange pour trouver les moyens d’aider les initiatives. Le rôle fédérateur du sport existe aussi dans la cellule familiale. J’ai lancé, en Angleterre et à Monaco, les « Families on track », une course de 10 km à réaliser en relais et en famille. Le but est de renforcer les liens familiaux, de promouvoir la santé mentale et physique… Le sport peut vraiment changer la vie. C’est un honneur de porter cette idée avec Peace and Sport et de faire ma part au sein de cette plateforme de Champions de la Paix. »