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Marina Correia : planche de salut !


Une planche de longboard dans une main, un sac avec le portrait de Cesaria Evora dans l’autre. Deux accessoires, une identité. Marina Correia est un diamant poli aux embruns atlantiques. Ceux qui caressent son île natale du Cap-Vert. Bien loin du bitume surchauffé de la Promenade des Anglais, où la longboardeuse de 26 ans s’est bâti un destin. Sautant de podiums sportifs en shootings photos. Visage d’ange et regard déterminé, Marina a été championne du monde de longboard dancing freestyle, discipline qui consiste à effectuer des tricks techniques et des mouvements de danse sur une longue planche, mix entre un skate et un surf. Rencontre avec une jeune femme d’une profonde beauté humaine.

 

PAR SEBASTIEN NOIR

PHOTOS : JÉRÉMY BURBANT & VINCENT ARTUS

 

Une vie de rêve. Installée sur une plage de Santiago, l’une des îles volcaniques de l’archipel du Cap-Vert, Marina Correia,

14 ans, profite, à l’ombre d’un palmier, d’une cachupa, un ragoût à base de maïs, de haricots, de légumes et de viande ou de poisson, accompagnée d’un grogue allégé, boisson locale à consommer avec modération. Son corps se déhanche au rythme des notes de  la morna, égrénées par le poste de radio planté dans le sable blanc. Le bonheur à l’état pur, conjugué avec une belle dose d’insouciance que confère l’adolescence.

« Waouh ! C’était juste parfait », rembobine Marina avec un immense sourire qui en dit long sur la nostalgie de ses pensées lorsqu’elle les laisse vagabonder vers l’île de son enfance. L’île de la tentation, qu’elle doit réfréner malgré sa soif inextinguible de revenir vers la source. « Lorsque je rêve du Cap-Vert, je suis juste en paix avec moi-même. Le football, le soleil, la mer, les fêtes le week-end… C’était aussi beaucoup d’amour. Enormément d’amour ».

Marina se souvient de ces moments exquis. Elle croque la vie à pleines dents. Jusqu’à ce fameux soir, lorsqu’elle trouve sa maman assise sur le perron de la maison familiale. « Marina, avec ton beau-père, nous voulons que tu viennes avec nous en France. A Nice ». La réponse de Marina, déjà résignée, fuse : « Ai-je vraiment le choix ? ». « Pas vraiment », rétorque sa maman.

« Alors, j’ai dit OK. C’était la décision de l’amour et je devais la respecter. Et puis, pour les études, c’était peut-être mieux ».


11 avril 2016 : « J'ai su que cette planche

me sauverait la vie »


Nice. La Promenade des Anglais, les palmiers, le soleil, la plage, même si les galets ont remplacé le sable. Marina Correia est presque chez elle. Sauf que la France, c’est une autre culture. Une autre langue. « A l’école, je n’avais pas de repères. Je parlais avec un accent très prononcé et j’entendais les moqueries. Les enfants sont cruels. Alors, je ne parlais plus. Je me suis enfermée dans le silence. Renfermée. Pourtant, je voulais m’intégrer à tout prix. J’ai alors commencé à me lisser les cheveux, à masquer mes différences. Je n’avais qu’un objectif : me fondre dans la masse ».

Sa vie est faite de renoncements, de frustrations. Marina n’est plus cette adolescente pleine de vie, emplie d’un bonheur qu’elle souhaite partager. Elle s’efface. Gomme son identité. Ses atouts aussi. Sa richesse, surtout. Marina est en train de perdre. De se perdre… Elle comprend alors que le sport peut lui permettre un nouveau départ. Le football, comme au Cap-Vert ? « J’ai dû raccrocher. Mon entraîneur m’a dit que je ne comprenais pas les consignes ». Le taekwondo ? « Ce n’était pas vraiment pour moi ».

Et puis, un beau jour, la planche de salut. Un longboard prêté par un ami. « Pourquoi ne pas essayer ? J’ai tout de suite accroché. C’était génial. Pas besoin de coach. De règle. J’étais libre. La planche, c’est aussi un mode de vie. Que j’adore ». Tout roule enfin pour la jeune femme qui, à peine rentrée chez elle, demande à son beau-père s’il peut lui acheter un longboard. « Mais ça valait cher. Alors, il m’a offert une planche un peu plus petite. Hélas, en troisième, on me l’a cassée. Je me retrouvais sans rien… »

Le vide. Vertigineux. Retour vers ce passé douloureux qui la tenait à l’écart des autres. Les espoirs d’intégration étaient, eux aussi, brisés. Comme cette planche qui lui permettait de s’exprimer « sans parler ». Tout a volé en éclats. « Jusqu’au 11 avril 2016, sourit Marina. Je m’en rappelle comme si c’était hier ».

Sector 9, un des gros sponsors de la glisse, organise une journée de présentation de ses planches sur la Promenade des Anglais.

Le regard de Marina s’éclaire comme lors de ce jour béni. « Il y avait des dizaines de planches. De 10 heures à midi, je les ai toutes essayées.

Je me suis juste arrêtée une fois pour boire, explose-t-elle de rire. Mais j’avais flashé sur une seule. A la fin, on m’a dit de venir au shop. Je me suis dit, génial, je vais avoir un t-shirt ou des autocollants. Un membre de l’équipe m’a demandé quelle planche je préférais. Il me l’a alors tendue en me disant, elle est pour toi. J’ai su à cet instant qu’elle me sauverait la vie. Mon existence ne serait plus jamais la même ».

 

D’autant que Marina apprend également que, chaque mois, elle aura un colis avec du matériel offert par la marque. « C’était fou. Mais rien n’est jamais gratuit, alors quelle était la contrepartie ? Juste des photos et des vidéos. Incroyable. Bon, j’ai quand même demandé pourquoi j’avais été choisie alors que je n’étais pas la meilleure ». La réponse ne souffre d’aucune contestation possible. Marina en sourit encore : « Mon énergie a fait la différence. J’étais la seule à rider de 10 h à midi comme si ma vie en dépendait alors que je m’amusais. Et ils étaient sûrs que j’allais progresser ».

 

Marina... Baie des Anges

Ils ont eu du pif, les responsables de la marque Sector. C’est un doux euphémisme lorsqu’on sait que Marina Correia termine deuxième de la catégorie femme sponsorisée, dès sa première compétition, en 2019, au 360 Longboard Open. « Tous mes concurrents étaient plus aguerris, ils possédaient une grosse expérience. Je ne pensais pas être sur le podium. Ils m’ont regardée comme une extraterrestre », sourit-elle. Il s’agit, peut-être, de sa plus grande réussite (avec son titre de championne du monde, lire encadré). Car, d’un côté, Marina comprend alors qu’elle est désormais une vraie athlète, et, de l’autre, le milieu du longboard prend conscience qu’il possède une véritable icône de la discipline. Marina, en effet, va vite. Très vite. Des rides vertigineux accompagnés de mouvements qu’elle est la seule au monde à réaliser. Elle pose sa planche là où d’autres hésitent à mettre le pied. « J’ai un côté street, je saute des marches, je choisis des endroits où je suis la seule à passer, j’aime tout ce qui est dangereux. Mon style est sauvage, je cherche le risque. Quitte à avoir des bleus, des fractures... Je me fixe des challenges, c’est mon plaisir ».

Voilà, retour à ses premières amours. Loin de la compétition qu’elle « n’apprécie pas plus que ça » au profit de son « propre plaisir », celui qui la pousse à se dépasser. A choisir la ligne qu’elle veut tracer et suivre sur son longboard. Comme tous les jeunes - ou moins jeunes parfois - avec qui elle partage les rues de Nice.

Liberté. Egalité. Fraternité.

Une communauté qui regroupe « les noirs, les blancs, les Chinois, les Italiens… Tous ceux qui veulent rider et s’intégrer ». Un clan qui, surtout, ne juge pas. Ne se moque pas. Ni ceux qui parlent mal le français, ni ceux qui le pratiquent avec un accent très marqué.

Ses membres n’ont qu’un langage, celui de la ride. Qu’ils partagent sur la Promenade des Anglais. Là où tout a commencé pour Marina… Baie des Anges !

 

 

Championne du monde  en quatrième vitesse !

Il n’aura fallu que deux compétitions pour que

tout roule. Pour que le vent gagnant la pousse vers

les sommets du longboard.

La victoire plein les voiles grâce à ce titre de championne du monde de longboard dancing freestyle. Et pourtant, rien ne fut simple. La crise sanitaire masque les visages et les ambitions. Mais, pour elle, c’est une chance. « La compétition devait se dérouler aux Pays-Bas, et je n’avais pas les moyens. Avec la Covid, les organisateurs ont décidé de faire une édition en ligne. Nous avons déposé une première vidéo sur Instagram. Sélectionnée, j’ai posté une deuxième vidéo avec un enchaînement de figures et de pas de danse pendant une minute. »

A couper le souffle !

Rapide comme l’éclair, c’est un véritable coup de tonnerre dans le jury. A tel point que le doute s’est emparé de ses membres. « A trois reprises, ils m’ont demandé si j’avais modifié la vitesse de la vidéo. J’ai dû leur expliquer que je ridais juste très vite ».

Plus vite, en tous cas, que pour délivrer un verdict. Le couperet tombe le 10 janvier 2021. Une date que Marina Correia n’oubliera jamais : « J’attendais les résultats avec ma petite amie, et quand je les ai vus, mon pseudo de l’époque (Fenty AF, en référence à Rihanna), j’ai craqué ! J’étais sacrée. Championne du monde. Incroyable ». Son nom était à tout jamais inscrit sur la planche et de nouveaux desseins pouvaient alors apparaître. Pour Marina, rien ne serait comme avant…

 

Une véritable égérie


Féline et divine. Douce et forte. Sensible et réservée. Marina possède une personnalité complexe. Et si attachante. Les marques ne s’y sont pas trompées. Elles ont décelé en elle un potentiel incroyable. Elle a un style. Une « gueule ». Lacoste. Sector 9. Nike. Hollywood Chewing Gum. Et beaucoup d’autres. Les marques se déchaînent. Maurice Lacroix (marque horlogère suisse), Decathlon, Timeber Boards (marque de sa planche), Paris Truck sont ses sponsors actuels. Les shootings s’enchaînent aussi vite que ses tricks. Marina est photogénique. Deux agences de mannequinat l’ont prise sous leur ailes : Sport Models Paris et Enjoy Models.  Elle veut maintenant percer l’écran. Du mannequinat à l’acteur studio, il n’y a qu’un pas qu’elle veut franchir. Le clap d’une nouvelle vie ?

 

« Je suis ce que je suis. Tout simplement »

Racisme. Sexisme. Homophobie. Rien n’aura été épargné à Marina.

Pour le racisme, elle l’a subi… de tous côtés. Lorsqu’elle a clamé être la première femme noire, capverdienne et africaine à avoir remporté de titre de championnne du monde dans son domaine, les insultes et reproches sont arrivés de là où elle ne s’y attendait pas. « Je ne vois pas comment les choses vont évoluer si nous, les personnes noires, on se tire dans les pattes. Ils m’ont rabaissée, humiliée. Ils affirmaient que je n’étais pas noire. On en était presque à calculer le pourcentage de mélanine. Alors que je voulais simplement passer un message aux minorités et leur montrer que peu importe les difficultés quotidiennes, nous aussi on peut le faire. Quand on veut, on peut ! Quelles que soient notre couleur de peau ou notre religion. »

Mais qu’on ne s’y trompe pas, les blancs ne l’ont pas épargnée : « Au cours d’un shooting, on m’a demandé d’enlever mes dreadlocks. Mais, ce n’est pas un accessoire, ce sont mes cheveux ».

C’est la première fois, lors de cette longue discussion, que le magnifique sourire de Marina a quitté son visage. Pour autant, aucune agressivité dans son propos. L’amour, parfois, recèle aussi des pièges. Des déviations auxquelles les jeunes filles doivent faire face. « Le sexisme est partout. Un regard suffit à nous déshabiller. J’ai moi-même été victime d’un attouchement dans la rue. Et puis, une fille sur un skate, ce n’est pas du goût de tout me monde. Mais cette discipline doit rester mixte ».

Enfin, Marina explique « avoir une copine qu’on ne voit jamais. Et ma mère l’a très bien acceptée. Pour moi, tout est naturel ».

Femme noire, homosexuelle. Tout simplement. Elle conclut ainsi :

« Je ne revendique rien, je ne milite pas. Je suis ce que je suis. Tout simplement ».

 

« TRANSMETTRE »

« Et demain ? Bien sûr,

Marina Correia souhaite devenir

actrice. Mais elle veut aussi,

et surtout, « transmettre ».

Comment ? « Par des actions auprès du Comité Olympique, avec lequel je collabore. Et puis, j’aimerais vraiment travailler avec le ministère Des Sports. Au Cap-Vert ou en France, même si cela paraît plus difficile ici ». Ou encore par des cours, à Nice et ailleurs, dispensés à sa communauté. Parce qu’elle a un style et un discours fédérateurs. Parce qu’elle est une référence.

Pour tout cela, Marina possède un véritable atout. Désormais, elle parle français, anglais, portugais ou encore en créole cap-verdien. Elle déborde de vie et d’envie et veut plus que tout partager sa passion, répandre ses pensées positives sur l’humanité. Loin de la jeune adolescente qui avait du mal à communiquer avec ses camarades.

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