Marion Moriceau, au fil de l'eau
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- 1 avr.
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L’eau. Son fil rouge. Fil d’Ariane pour retrouver son chemin qu’elle savait pourtant tout tracé dans le dédale d’une profession exclusivement – ou presque – réservée aux hommes. Pour trouver sa voie. Son issue. Sans se brûler les ailes…

Par Sébastien Noir
Photos J.-M. MILLE et Fonds personnel Marion Moriceau
L’écume blanchit les eaux. Les bulles montent à la surface. L’eau bouillonne. Et là, sous nos yeux, apparaît un scaphandrier. Remonté sur le bateau, ce dernier ôte son casque et défait le haut de sa combinaison. Et là, la magie opère. L’ouvrier de la mer se transforme en une sirène revenue du fond de l’océan. Longue crinière blonde, pupilles vertes, nous sommes prêts à suivre le chant de Marion Moriceau, l’une des seules femmes à exercer le métier de scaphandrier.
Pourtant, comme les hommes avec qui elle fait équipe, Marion pose des filets. Des coffrages. Elle tire des radiers, elle soude. Coupe. Coule du béton. Ou elle remplace un filet anti-pollution, comme il y a peu à Antibes.
Et puis, il y a les chantiers sous-marins. Plus imposants. Plus impliquants pour la nature. Comme celui auquel Marion a participé, à Monaco, afin de gagner 60 hectares sur la mer. « Je suis fière de ces travaux en Principauté. Nous avons déplacé les posidonies, écarté tout ce qui était vivant de la zone de chantier. Nous avons installé la nacre sous la coupole pour un projet scientifique ». Cette première étape franchie, il a fallu ensuite passer au gros œuvre. « Nous avons alors installé des rideaux, des boudins flotteurs, de grandes bâches lestées afin d’éviter des fuites de produits chimiques. Tous les jours, nous plongions afin de vérifier l’état du rideau jusqu’à 40 mètres de profondeur. Nous avons reçu des tonnes de gravats, livrées par la mer, pour mettre le sol à niveau et poser des caissons. Nous avons procédé à leur étanchéité et coulé les plus gros blocs de toute ma carrière. Dans l’obscurité totale, avec un stress énorme, d’autant que je n’avais pas le droit à l’erreur, je suis une femme (lire par ailleurs). Mais quand on voit le résultat, c’est génial ».
Les yeux de Marion pétillent encore. Et son sourire s’agrandit lorsqu’elle parle de ce métier qu’elle a toujours souhaité exercer.
« C’est ce qui me faisait rêver quand j’étais petite. Plongeur-scaphandrier, c’est ce que je veux faire, je suis faite pour ça, donc je vais me donner les moyens d’aller au bout de ce rêve ».
La jeune fille et la mer
Pas étonnant donc qu’à l’âge où les petites filles jouent à la poupée et lisent les ouvrages de la Bibliothèque Rose, Marion Moriceau, elle, découvre les mannequins plongeurs et s’évade dans les manuscrits de Jules Verne et autres romans d'Ernest Hemingway. Elle s’imagine alors, un destin aquatique aussi apaisant qu’épanouissant. La jeune fille et la mer. Le titre qu’elle donne à ses rêves, à ses aspirations dans un monde où, pourtant, on ne peut respirer.
Le soir, elle donne vie à ses aventures, plonge dans les abysses, vogue sur les flots de ses songes les plus fous. Le matin, elle émerge, remonte les casiers avec ses oncles, dans cette famille de marins-pêcheurs des Sables-d’Olonne. Là où elle décide, au moment du départ du Vendée Globe, que son destin ne pourra s’écrire qu’en bleu azur. Un jour, elle aussi jettera l’encre. C’est sa bouteille lancée à la mer…
Noyée pour mieux respirer

Et pourtant, sa vie a failli être raturée. Effacée à l’eau salée. La mer a reconnu une de ses filles. Et a voulu la reprendre : « J’avais 7-8 ans et je me suis noyée, se souvient Marion. J’ai littéralement fusionné avec l’élément liquide. Je n’ai jamais eu peur, au contraire, je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je voyais la lumière, là, si près… »
Presque heureuse de partir vers le paradis des marins. Son père parvient cependant à la ranimer. Noyée pour mieux respirer. Pour mieux aspirer… Car, à partir de cet instant magique au cours duquel elle a entendu le chant des sirènes de l’océan, elle le suivra toute sa vie !
Et pourtant, elle se trompe d’aiguillage. La vingtaine rugissante, elle comprend très vite que gérer la communication de la SNCF, c’est faire plaisir à sa mère. Pas à elle-même. Elle sent que sa vie déraille. Jusqu’au jour où…
« Sur le port des Sables, je découvre le métier de scaphandrier. J’arrivais à ma projeter. Je voyais les fonds marins, les casques… »
Une révélation ? Mieux, une élévation.
Et comme dit l’adage, les trains ne passent qu’une fois. Alors, elle embarque pour une nouvelle existence.
Une discipline… militaire

Marion, 23 ans seulement, s’engage dans la Marine nationale. Les réserves restent les mêmes. « On se moque alors de moi car il n’y a quasiment aucune femme qui fait ce métier. On m’a dit que je n’avais aucune chance. Cela m’a rendu dingue et très en colère. Je suis devenue obsédée. »
Marion Moriceau s’impose alors une discipline… militaire. Footing, apnée et une préparation de maintenance navale en milieu subaquatique.
Pompon sur le gâteau du nouveau moussaillon, elle gagne son pari. Affrétée sur Le Forbin, frégate de défense anti-aérienne et anti-sous-marine, Marion part alors sur des zones de guerre.
Première mission : l’Afghanistan.
« Deux choses m’ont frappée là-bas. L’incroyable organisation militaire mise en place et la misère qui en découle pour les populations locales qui n’ont rien demandé ».
Les doutes arrivent. Se bousculent. Mais pas le temps de tergiverser, il faut partir pour la Somalie. « Nous devions protéger les gens des pirates. C’était vraiment très tendu, ils ont une façon de jouer avec les nerfs qui ne vous permet jamais de vous relâcher. Et ce qui m’avait étonnée, les armes qu’ils utilisaient. Toutes artisanales… »
La mission est tout juste accomplie qu’il faut mettre le cap sur la Libye…
Certainement l’expérience la plus difficile pour Marion, encerclée, entre le danger sous l’eau (des mines par milliers) et sur l’eau (« des Tomawaks passaient au-dessus de nos têtes. Jour et nuit. En permanence »).
La guerre. Ses atrocités. La peur qui envahit les têtes, paralyse les corps. Cette terreur qui s’empare de tous et qui fait craindre le pire. Reviendra-t-on de mission ? « Un membre de mon équipe a envoyé une photo de lui à sa femme. Pour lui dire au revoir. De mon côté, j’ai expédié un mail à ma mère pour lui confier mes doutes. Mes inquiétudes. Mais les communications sont restées coupées une dizaine de jours. Sans nouvelles de nous, imaginez… »
Malgré la reconnaissance de la Nation, le doute s’instille. S’installe. Encore. Marion est en conflit. Avec elle-même.
« Soit, je dédiais ma vie à l’armée, soit je reprenais une vie normale. Avec la perspective de devenir plongeur-scaphandrier ».
Rester sur l’eau, c’est bien, mais aller sous l’eau, c’est aussi, pour Marion, prendre une grande bouffée d’oxygène.
Alors, la jeune femme troque son uniforme pour une combinaison. Son chapeau pour un masque. Une formation « classe II mention A » plus tard, la voilà intérimaire sur quelques chantiers. Et puis, l’immersion dans le grand bain. Avec une seule préoccupation : la préservation du milieu aquatique. « Ma spécialité, ce sont les chantiers éco-responsables. Travailler sous le label Eco-environnement. Comme nous l’avons fait à Monaco… »
Voilà, la sirène peut remettre sa combinaison. Son masque. Redevenir le plongeur-scaphandrier de ses rêves. La magie opère. Comme toujours…. Sans aucune appréhension. « Au top départ immersion, je n’ai plus peur
de rien.
Un métier « masculin » conjugué au féminin
On l’a dit, Marion Moriceau est l’une des rares femmes à exercer ce métier réputé « masculin ». Elle a surmonté de nombreuses épreuves, moqueries, d’immenses doutes pour parvenir à son objectif. Morceaux choisis…

« Fais des études, et ce n’est pas un métier pour les femmes ».
Les premiers à dire cela ? Les membres de sa famille.
A Monaco, « j’étais installée dans le coffrage, je me suis appliquée, mais c'était stressant. J'étais persuadée que, contrairement à mes collègues, en tant que femme, je n'avais pas droit à l'erreur ».
L’armée : « L'officier chargé de la sélection me riait au nez, c'était très violent, ça m'a fait mal. Seules deux femmes en 1945 et 1996 avaient obtenu le grade de plongeur démineur, mais au titre d'officier
en étant dans l'encadrement.
Elles n'ont jamais pu partir en intervention. Et moi, c'est ça
qui m'intéressait ». « Pour s’intégrer, il faut savoir rire et si nécessaire remettre ses interlocuteurs en place. Parfois, il m’arrive de chasser des hommes à coups de pieds dans les fesses de la douche qu’ils voulaient
prendre avec moi » (rires).
Scaphandrier… et armateur

Marion Moriceau vient d’acquérir son propre bateau, Le Thazard. Avec un objectif bien précis : « Il sera affrété pour la cueillette des algues en plongée et les travaux sous-marins écoresponsables, notamment dans l’utilisation des matériaux lors des opérations ». Elle est ainsi non seulement l’une des seules femmes scaphandriers mais aussi armateurs désormais !
Mon Miracle
Si l’eau de mer coule dans ses veines, il fallait que les produits issus de l’océan emplissent son assiette. Encore faut-il avoir les bonnes recettes. « C’est mon arrière-grand-mère qui m’a dévoilé les secrets culinaires et médicinaux ancestraux de la famille, à base de goémon et de varech surtout ». Et, forcément, de nombreux ingrédients sont venus enrichir ces recettes lorsque Marion Moriceau a débuté la plongée. Avec le temps, ses connaissances en phycologie, guérisons et soins marins se développent.

L’horizon s’élargit alors, notamment dans les domaines de la cicatrisation, de la protection solaire ou encore de la cosmétologie.
Alors, pendant qu’elle cultive ses jardins sous-marins (labellisés par Nausica à de Boulogne-sur-Mer), elle travaille en collaboration avec des laboratoires, notamment sur de nouveaux produits. « Les expertises et les recherches scientifiques ont abouti à plusieurs formules sans agent perturbateur. Et les algues, surtout les brunes, sont de véritables puits de carbone, qui ont la capacité de séquestrer près de 4,9 millions de tonnes de CO2 atmosphérique de plus que leurs homologues terrestres, chaque année ».
Autre effort mené, sur les emballages, « tous recyclés, totalement étanches et réutilisables, issus de déchets ramassés sur les plages. Une fois vides, nous nettoyons et stérilisons les flacons avant de les remplir et de les renvoyer aux clients ».
Depuis le Salon international de la plongée 2024, Marion Moriceau a lancé sa société Mon Miracle proposant des soins visage à base d’algues, d’eau de mer et d’huile d’amande douce.
La beauté éco-responsable…