
Par THIERRY SUIRE
Photos : OLIVIER ANRIGO
Il ne demande pas la Lune. Juste un peu plus d’attention pour notre bonne vieille planète Terre. Ses photos sont un phare dans nos vies à mille à l’heure. Une mise au point dans le flou d’une société sans boussole. Elles nous éclairent sur notre environnement à la dérive, tel un iceberg détaché de sa mère banquise. Elles nous disent cette beauté à sauver, à chérir. Elles nous disent l’urgence de changer. Des témoignages sans parole mais tellement puissants. Tellement criants.
Rencontre avec le Mentonnais Olivier Anrigo.
Photographe engagé.

Si Tintin avait vécu au XXIe, sûr que le célèbre reporter aurait été affublé d’un appareil photo dernière génération. C’est cette vie, à courir le monde, que s’est choisie Olivier Anrigo. Sa mission : zoomer sur la beauté de la planète à l’état naturel. Pour, en contrechamp, exposer les dangers qui la menacent. Une mission qui lui a fait parcourir les 5 continents. Avec la Côte d’Azur pour port d’attache. Là où tout a commencé. Parce que la carrière photo d’Olivier est tout sauf un hasard. Il est tombé tout petit dans les bains révélateurs. Au temps de l’argentique. Son grand-père et son père tenaient boutique à Menton, rue Partouneaux, et tiraient le portrait de toute une ville (lire par ailleurs).
Lui a poussé les murs de l’échoppe familiale et s’est spécialisé dans un autre type de clichés : capter le vivant dans toute sa richesse. Dans toute sa splendeur. Photographe animalier. Photographe pleine nature. Le monde infini pour décor. La faune sauvage pour sujet.

De défis en aventures, Olivier a approché l’ours polaire, salué Sa Majesté le lion. Il s’est frotté aux crocs du loup de Laponie et a croisé la route de l’éléphant géant... Il a foulé aussi bien les glaces arctiques et antarctiques que le sol aride de l’Afrique. Portant, partout, son regard amoureux sur chaque lieu, sur chaque parcelle d’existence. Immortalisant ces moments suspendus.
Trinquant à la vie. Sans cliché. Cent clichés. Zappant de l’attraction terrestre à l’ivresse des profondeurs.
En Méditerranée, rencontre du 3e type !
Son dernier vertige photo, Olivier l’a eu au bercail. Dans les reflets de la Grande bleue, cette mer Méditerranée qui, enfant, accompagnait ses rêves d’ailleurs.

Ce vertige, c’est une rencontre du 3e type. Une baignade inoubliable avec les géants des mers. Des cétacés accueillants qui lui ont fait une place dans leur cercle des nageurs. Dans la famille globicéphale, espèce reconnaissable à son front proéminent, Olivier a rencontré le papa, la maman et « bébé globi ». Un conte pour petits et grands enfants. Qui se joue là, à 30 milles marins de la Côte (soit 50 km). S’invitant dans leur grande maison bleue, le photographe – qui connaît ses classiques – n’a rien voulu déranger. S’est fait discret. Mais a attiré la curiosité du plus jeune. Il s’est fait accepter… Quelques instants qui lui ont paru une éternité. « C’était juste magique, fantastique. Un cadeau », souffle l’amoureux de la nature. Pendant cette danse marine, le papa le gardait à l’œil. Et c’est lui qui a sifflé, d’un coup de nageoire caudale, la fin de cette amicale partie de cache-cache aqueuse. Sur la série d’images qu’il a remontée des flots, Olivier a saisi un regard (œil pour œil… de photographe), une bouche étirée tel un sourire. Il s’est joué des effets de la lumière solaire zébrant le « cuir » des gentils géants marins. Il a capté leurs ombres portées sur le plafond de mer. Contre-plongée… sous-marine. Enfin, leur nage collée-serrée dans l’immensité aqueuse dit tout l’amour et l’instinct protecteur d’une famille dans son milieu naturel. Un moment suspendu. Gravé sur la rétine du photographe bien plus encore que sur ses tirages. Une rencontre qui ne s’est pas faite en un jour.
Pour être dans son élément dans les grandes profondeurs, Olivier Anrigo a multiplié les plongées sous-marines. S’est familiarisé avec son appareil XXL qui flashe sous l’eau. Il s’est initié à l’apnée sous les conseils de Manu Lacroix et Jacques Lavezac, ses anges gardiens des flots. « On s’est posé beaucoup de questions sur l’approche des animaux, l’idée étant toujours de ne pas les déranger », précise le Mentonnais. Au gré des entraînements, les trois compères ont mis au point un système de propulseur pour cheminer dans l’eau sans palmer, pour une approche linéaire et moins invasive.
Enfin, le photographe a embarqué depuis le port de Beaulieu-sur-Mer à bord du Papeete pour des virées en mer à vocation scientifique et vulgarisatrice. Direction le sanctuaire Pelagos, un espace protégé au large de la France, de Monaco et de l’Italie. Sur le pont d’Antoine, le capitaine, on croise Sylvain, du laboratoire Ecoseas, spécialisé en écologie et écotoxicologie marine, Clara et Florent, de la mission Ramoge, organisme de coopération entre les États français, monégasque et italien pour la préservation du milieu marin ou encore le fameux Jacques, Géo-trouve-tout de l’aventure. « Ici, c’est l’humain avant tout », glisse le photographe qui, par sa nature, a tissé un lien privilégié avec chacun de ses acolytes.
Antoine file droit vers l’horizon infini, débusque avec ses jumelles un bébé espadon qui fait des bonds dans l’eau, presqu’à l’horizontale. Sur le pont, le silence se fait en un claquement d’aileron de dauphin. Tout un groupe encadre tout à coup le Papeete, se joue du sillon de mer... Olivier reste à bord, cette fois, et immortalise avec son appareil « terrestre » la visite de ces animaux joueurs.
Toute une journée seuls au monde… et si bien entourés. Une journée à voguer, à observer, à s’émerveiller. Une journée, puis d’autres, avec l’objectif de ramener à terre des données scientifiques et des clichés pour sensibiliser à la beauté de la nature et à son rôle dans la préservation de l’environnement.

Le globicéphale
> Il mesure de 5 à 7 mètres
> Son poids varie de 2 à 3 tonnes (80 kg à la naissance)
> Sa durée de vie est de 60 ans pour les mâles et 80 ans pour les femelles
> Il peut plonger jusqu’à 600 mètres de profondeur

Une expo photos sur
la Prom’ du Paillon à Nice
De ces sorties en mer, Olivier Anrigo a remonté un fourmillement de vies, de couleurs. Il a sélectionné 40 photos qui seront exposées sur la Promenade du Paillon (espace Bourgada) à Nice, avec celles de Greg Lecoeur, grand nom de la photographie sous-marine. Une exposition organisée par la Métropole Nice-Côte d’Azur du 15 mai au 31 juillet à l’occasion de la 3e Conférence des Nations Unies sur l’Océan. Les photos d’Olivier seront légendées par les scientifiques de l’association Wildlife Interactions.
La mission Carbone bleu

Olivier Anrigo n’aime rien davantage que courir le monde pour en tirer ses plus belles pages. Cette fois, c’est à la maison qu’il a voulu servir la cause environnementale. Parce que c’est aussi ici que se joue l’avenir de la planète. Missionné par la Métropole Nice-Côte d’Azur sur le périmètre méditerranéen, le photographe s’est donné pour mission, avec son association Wildlife Interactions, de faire jaillir des flots le rôle majeur des mers dans la lutte contre la pollution. Son projet, intitulé « Carbone bleu », met en lumière l’action des herbiers de posidonies et des grands cétacés pour capturer le CO2 émis par les activités humaines. Les scientifiques les appellent des « puits de carbone ».
« On doit s’en remettre aux éléments de la nature pour réguler nos excès, pour réduire notre impact négatif sur la planète et réguler le climat », explique-t-il. Avant d’ajouter : « selon certaines études, les baleines peuvent stocker chaque année jusqu’à 33 tonnes de dioxyde de carbone. Elles sont le symbole emblématique de cette captation ! » Raison de plus
- s’il en fallait - de protéger l’espèce.
« Le grand public l’ignore, insiste Olivier. A quelques encablures de nos côtes, vit une extraordinaire biodiversité marine. Beaucoup pensent qu’il n’y a pas de baleine en Méditerranée. Or le sanctuaire Pelagos est une zone riche en mammifères marins. Les globicéphales que nous afficherons dans cette exposition aideront, j’espère, à prendre conscience de cette réalité. Dans un contexte de changement climatique,
il est urgent de sensibiliser les gens à la beauté et à la fragilité du monde marin ».
La 3e conférence des Nations Unies sur l’Océan qui se tient en juin à Nice
est l’occasion unique, pour Wildlife Interactions de montrer cette richesse
à nos portes, de dire que Mare Nostrum est un haut-lieu de la biodiversité marine et du monde des cétacés. Tel un cri jailli du monde du silence.
« Mon père,

ma bonne étoile »
« Chaque moment de ma vie a été moteur pour autre chose.
On dit souvent qu’on a une bonne étoile, j’aime à penser que c’est mon père qui me donne la force d’avancer ».
Un père, un mentor, qui lui a mis les mains dans le métier. Des heures de labeur partagées dans la boutique mentonnaise « Photo Poste ». « Tout ce qu’il m’a appris me sert chaque jour. Les développements de bobines argentiques, à l’époque, m’ont apporté un savoir en colorimétrie qui inspire ma quête de justesse des couleurs. La vente d’appareils photos m’a donné cette envie de maîtriser le côté technique et de nouer un lien avec les fabricants », ajoute celui qui a été tour à tour ambassadeur des marques Nikon puis Panasonic (Lumix).
Mais c’est loin de la rue Partouneaux qu’Olivier décidera de voler de ses propres ailes. « A la mort de mon père, je me suis lancé dans une activité de photographe d’extérieur ». Il s’installe dans l’arrière-pays, à Sospel, et se frotte à la nature du côté de Castérino. « Là-bas, je rencontre Alain Simon, un musher (conducteur de traîneaux à chiens) et je l’accompagne pour rentrer mes premières images dans le froid. C’est comme ça qu’ensuite j’ai pu couvrir plusieurs éditions de la Grande Odyssée Savoie-Mont-Blanc, 3e course la plus réputée de traîneaux à chiens. Ce sont mes premières expériences de bivouac, de conditions un peu rudes ». Lors de cette épreuve, Olivier rencontre Isabelle Travadon, championne de France de la discipline, et la suit jusque dans le Grand Nord. Pour un trip de 1 000 km entre la Russie, la Finlande et la Suède.
Il en tire un documentaire de 52 minutes, « Destination Laponie – Isabelle Travadon », diffusé à la télévision. Une photo de ce périple, « l’œil du loup », est primée par Nikon. Tout s’enchaîne alors sous la lumière bienveillante de sa bonne étoile.

Mais l’animal-photographe n’est pas rassasié. Après le froid, il souffle le chaud. En 2013, il débarque au Kenya, un pays qui le marquera profondément. « Ce coin d’Afrique, je ne l’ai depuis plus jamais quitté. Je l’ai su dès que j’ai mis un pied sur la réserve du Masai Mara. Ça a été exceptionnel, c’est comme ma deuxième maison. Il y a une richesse de biodiversité énorme ». Cette nouvelle expérience donne lieu à la sortie de l’ouvrage « Kenya Safari », livre tout public qui génère « de l’émotion, du lien, qui suscite la curiosité à tout âge ».
Avant un nouvel appel du froid.

Protection de l’environnement : le déclic arctique !
De la Laponie au Kenya… Du Kenya au Botswana en passant par l’Antarctique… Autant de destinations et de rencontres nature qui ont forgé le bonhomme.

Ces rencontres ont aguerri le photographe-aventurier au gré de longs bivouacs hors du monde. Ils ont forgé aussi son âme citoyenne. Au point de susciter en lui le désir ardent de prendre le taureau par les cornes. De tout faire pour inverser le cycle d’une nature qui se dégrade. Dans son cheminement personnel et professionnel, Olivier pointe un moment déterminant. « Le déclic, je l’ai au Spitzberg, une île de l’archipel du Svalbard en mer du Groenland, gouverné par la Norvège. Ma première traversée a été un vrai périple : trois jours de navigation titanesque, dans des creux de 7 mètres, sur un petit bateau météo Polar Front. Mes plus dures conditions en mer depuis que je voyage. Une fois sur place, on arrive au paradis blanc. C’est l’endroit de la planète qui compte le plus grand nombre de glaciers. Un paradis menacé. C’est la destination qui me fait vraiment prendre conscience de l’urgence climatique. La fonte de glace est là, sous nos yeux. On voit des animaux désorientés. Comme l’ours, contraint de s’approcher des humains pour se nourrir.
Et, malheureusement, souvent, ça se finit mal pour lui. En rentrant, j’ai été convaincu qu’il fallait agir. » De cette conscience, naîtra l’association Wildlife Interactions (lire par ailleurs).
Dans ces expériences arctiques, le photographe apprécie le calme des lieux, l’absence de connexion. C’est de là aussi qu’il ramènera une de ses photos signature. Celle de la maman ours allaitant ses petits (lire par ailleurs : « Ses 5 photos coups de cœur »).

A l’été 2023, Olivier retourne au Pôle Nord, dans la baie du Scoresby Sund, le fjord le plus profond du monde. Pour une mission scientifique à bord de Persévérance, le bateau de l’explorateur infatigable Jean-Louis Etienne. Il réalise des images aériennes avec son drone pour aider les scientifiques à se rendre compte de l’état de la glace et des icebergs. « Ce travail pour la planète, en coopération avec d’autres acteurs de sa préservation, est le cœur de ce que je veux faire aujourd’hui », appuie le photographe.
L’association Wildlife Interactions
Dans le prolongement de ses missions, Olivier nourrit l’idée de créer une structure dans laquelle toutes les compétences qu’il a croisées s’associent.

Cette volonté donne naissance en 2020 à Wildlife Interactions, association loi 1901 : « c’est un regroupement de talents. Par exemple, les textes du livre Arktic Circle ont été coécrits par Déborah Pardo, docteur en écologie et exploratrice polaire, et le glaciologue Léo Decaux. C’est une première action concrète commune. Moi, je ne peux qu’interpeller à travers mes images mais je n’ai pas de solution. Cette solution appartient aux scientifiques. Eux peuvent se servir de mes images pour faire passer leur message. C’est cette complémentarité qui est au cœur de notre association ».
Ensemble, ces compétences mettent en œuvre des actions visant à sensibiliser le public à la protection de l’environnement. Cela prend la forme de conférences et d’expositions. « Mais, pour moi, le plus important, c’était surtout d’aller à la racine, pour tout de suite mieux sensibiliser le jeune public : l’éducation, c’est primordial. Pour cela, on intervient dans le primaire sur tout le secteur de la Métropole de Nice et pour les élèves du secondaire, on peut intervenir sur l’ensemble du territoire français via un agrément sur le Pass Culture. »
Des enseignants, membres de l’association, ont, pour cela, créé des ateliers pédagogiques destinés aux interventions en classe.
Enfin, l’association mène des missions, telle la mission « Carbone bleu », menée en partenariat avec la Métropole Nice Côte d’Azur (lire par ailleurs).
Ses 5 photos
coups de cœur

La maman éléphant :
« c’est ce que j’appelle les moments waouh ! Une rencontre avec une maman éléphant et son petit. Quelle vision, quelle émotion ! D’en parler, j’en ai la chaire de poule. Je suis au pied du 4x4 avec les guides Luc et Flavia Gentil, au Kenya. La famille est à 400 mètres, elle avance vers nous. Cette maman a continué de cheminer avec son petit. Elle nous a vus, sentis. Elle s’est approchée à 5 mètres de distance. C’est phénoménal : c’est la faune sauvage, on est dans une réserve, pas dans un parc. Un moment de grâce. Cet éléphant entouré des herbes jaunes de la savane, on ne peut pas imaginer mieux pour illustrer la majestueuse nature ».
Le lion sale :

« cette photo fait partie d’une série prise pendant et après une chasse entre une famille de lions et un buffle au Masai Mara (Kenya). Ce lion est là, très sale. Cette image n’est pas commune parce que les lions sont des félins, toujours à se nettoyer ».
La maman ours :

« c’était le dernier jour d’un voyage au Spitzberg, dans la mer du Groenland. Je n’avais pas croisé d’ours du séjour.
Ce matin-là, on part avec deux guides naturalistes sillonner les alentours. Et, au bout de deux heures de marche avec de la neige jusqu’aux cuisses, on décide de rentrer. C’est alors qu’on aperçoit au loin un point blanc sur une plage de rochers : c’était la maman ours allaitant ses deux petits. Ça a été le Graal. Des photos uniques, tant le Spitzberg est une zone rocailleuse où il est difficile de saisir l’intimité des ours sans les perturber. On les a photographiés depuis le zodiac, sans les déranger ».

L’œil du loup : « c’est une rencontre inattendue en Laponie. On croise une meute. Le loup est d’ordinaire fuyant. Cette fois, un peu d’anticipation et de chance ont permis cette image qui a été importante dans mon histoire. Une image que j’ai choisie pour illustrer la couverture du livre Arktic Circle paru en 2021 chez Inventio Editions ».
Le vol de flamants roses :

« La photo que j’aime beaucoup, c’est un vol de flamants roses dans le nord du Kenya, au Turkana. C’est une image à la fois très graphique et animalière. C’est un ballet de milliers de flamants, ils sont tellement qu’on n’arrive plus à distinguer l’un de l’autre. Ils volent au-dessus d’une rivière kenyane dans un paysage finalement très abstrait ».